Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 72

66

L'ORDRE JURIDIqUE INTERNATIONAL

règles juridiques. La loi Accusationis ordinem (C. Th. 9, 1, 19) est reprise
et attribuée au pape Adrien, à la fois dans les Capitulaires d'Angilramne
(cap. 6) et dans la collection de Benoît le Lévite (III, 436)24. Dans ce texte,
il est question de l'ordre en matière d'accusation, qui devient sous la plume
des faussaires « l'ordre canonique des accusations ».
L'ordre juridique, pour les juristes de la période moderne, c'est le respect
des formes, le respect du droit en vigueur. Nous aurions envie de dire, le
respect de l'État de droit au sein de l'Église. L'expression ordre juridique est
le plus souvent employée pour qualifier, dans un sens moins large, l'ordre
judiciaire, en particulier la violation des règles procédurales25. L'origine
doctrinale de cette explication remonte à la glose ordinaire du Décret, sur
le dictum Quod autem (C. 2, q. 1, d. a. c)26. Gratien pose le principe
que nul ne saurait être condamné sans respect de l'ordo iudiciarius. Jean
le Teutonique expose sa pensée au détour de ce problème judiciaire, et de
la validité de la sentence définitive, et introduit une mutation conceptuelle,
d'ordre judiciaire à ordre juridique. La sentence requiert l'observation de
cet ordinem iuris duquel il détaille la double nature. L'une relève de la
substance ou de la nature des jugements (existence d'une litis contestatio,
audition des témoins, etc.), l'autre ne relève pas de la substance (sentence
portée sous condition, question de la possession jugée après celle de la
propriété). Mais la violation de l'un ou l'autre ordre juridique entraîne la
nullité de la sentence.
Il reviendra aux théologiens d'étendre le sens de cette duplicité non plus
au sein de l'ordre judiciaire, mais au sein de l'ordre juridique, compris
extensivement ; à l'instar de Louis Bail, pénitencier de l'archevêque de
Paris, qui semble avoir le premier tiré profit de ce dédoublement. Il existe
ainsi un ordre juridique accidentel, « qui dépend de la loi positive », et un
ordre juridique substantiel, « qui est de droit naturel, comme par exemple
le fait qu'un inculpé soit cité et qu'il puisse se défendre ». Ce dernier est
« non fictif », et se tire d'une substance immuable que les lois positives
peuvent différemment mettre en application27. Au-delà de cette distinction
nominale, ce théologien insiste sur l'obligation de respecter toute forme
die europäische Rechtskultur, t. III, Strafrecht und Strafprozessrecht, Cologne-Weimarvienne, Böhlau [Norm und Struktur, 37/3], 2012, p. 319.
24. P. Hinschius, Decretales pseudo-Isidorianae et Capitula Angilramni, Leipzig, 1863,
p. 760.
25. Les juges sont communément tenus de respecter « ordo Iuridicus procedendi », voir
J.-B. Castillo y Sotomayor, De iustitia et iure ceterisque virtutibus cardinalibus libri
duo, Anvers, 1641, lib. 2, tract. 1, disp. 1, dub. 1, n° 7, p. 254.
26. Gl. sur Quod autem, C. 2, q. 1, d.a.c., éd. Lyon, 1548, p. 368.
27. L. Bail, De triplici examine ordinandorum, confessariorum et poenitentium, Paris,
1679, p. 192 : « Duplicem esse ordinem iuridicum, unum accidentalem, qui dependet ex
lege positiva & libera hominum [...]. Alterum substantialem, qui est de iure naturali ». Un
Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne
