Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 87

PENSER L'ORDRE JURIDIqUE ECCLÉSIASTIqUE

communautaire95. À l'époque moderne, le grand fait juridique est celui de
la primauté de l'ordre juridique national, étatique, mais nul n'ignore l'ordre
juridique ecclésiastique, la France et l'Europe demeurant chrétiennes96.
Si l'on accepte la dichotomie proposée par Santi Romano, l'on peut
affirmer que l'ordre juridique ecclésiastique est un ordre originaire (qui
réalise « un ordre juridique non établi par d'autres institutions, donc
indépendant quant à sa source »), alors que l'ordre communautaire est
un ordre dérivé (« leur ordre est établi par une autre institution »)97. Ce
dernier correspond finalement à sa notion de « relevance juridique », qui
postule que « l'existence, le contenu ou l'efficacité d'un ordre soit conforme
aux conditions mises par un autre ordre : cet ordre ne vaut pour cet autre
ordre juridique qu'à un titre défini par ce dernier »98. À l'inverse, l'on peut
affirmer que c'est l'État qui fait usage de relevance unilatérale vis-à-vis de
l'Église, pour certaines dispositions (de moins en moins nombreuses), en
subordonnant, sans y être contraint, « tel point de son contenu propre ou
de sa propre efficacité à un ordre duquel il est parfaitement indépendant »99.
Les anciens mécanismes de réception du droit canonique répondent à cette
problématique, évidemment inscrite dans la nature d'un État confessionnel
acceptant la vérité de l'Église. Dès lors, « l'opération de réception de la loi
ou du jugement étrangers [est] un processus d'appropriation qui mobilise
les seules ressources de l'ordre juridique de réception »100. L'apparition de
dispositifs techniques de réception manifeste « un dualisme reposant sur la
conviction que ces deux puissances forment des ordres séparés »101.

95. Comme le souligne Denis Alland, « les caractéristiques prêtées ordinairement à
"l'ordre juridique interne" et celles conquises peu à peu par la construction communautaire
convergent pour exclure la part essentielle de ce qui a cours en droit international public »,
D. Alland, « De l'ordre juridique international », Droits, t. 35, 2002, p. 99.
96. Cela n'est guère surprenant, voir P. Brunet, « Pluralisme des ordres juridiques et
hiérarchie des normes », in P. Brunet et F. Arena (dir.), Questions contemporaines de
théorie analytique du droit, Madrid, 2011, p. 56 : « La tendance propre à chaque ordre est
de s'affirmer comme souverain par rapport à l'autre ».
97. S. Romano, Les ordres juridiques, op. cit., p. 65, § 33.
98. Ibid., p. 70, § 34.
99. Ibid., p. 74, § 35.
100. J.-S. Bergé, Les ordres juridiques, Paris, Dalloz, collection « Tiré à part », 13, 2015,
p. 26.
101. N. Sild, Le Gallicanisme et la construction de l'État, op. cit., p. 165. L'on peut ajouter
que ces mécanismes ne sont pas strictement français. Pour seul exemple, celui tiré du Code
Frédéric (part. 1, liv. 1, tit. 2, § 12, p. 19, trad. fr. 1741), cité par C.-A. Horoy, Prolégomènes
d'un cours sur le droit canonique et ses relations avec le droit civil, op. cit., p. 48-49 : « Comme
nos sujets catholiques doivent, en vertu de la paix de Westphalie, être jugés selon leurs
propres principes en matière de foi, nous conservons au droit canon force de loi, autant
qu'il est nécessaire pour cet effet. Mais nous l'abrogeons pour toutes les affaires civiles et
n'en exceptons que ce qui concerne les offices et les dignités des chapitres, et aussi [...] ce

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