Exégèses - Protéger les lanceurs d'alerte - 81

Recompositions : la démocratie technique rattrapée
par la transparence de la vie publique

du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui
ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Du fait que le lanceur d'alerte exerce sa
liberté d'expression en défense de l'intérêt général, les mesures de
rétorsion prises contre lui ne seraient ni justifiées, ni proportionnées
(Leclerc, 2005, p. 180). Mais ici toute incertitude n'est pas éliminée,
tant l'interprétation du caractère justifié et proportionné de la mesure
est ouverte à discussion. En outre, cette disposition ne concerne que les
salariés, quand la loi du 16 avril 2013 offrait une protection contre les
mesures de rétorsion à « toute personne » qui révélerait l'existence d'un
risque pour la santé ou l'environnement. Enfin, en tout état de cause,
placer la protection des lanceurs d'alerte sur le terrain de la liberté d'expression n'élimine pas le risque pour ces derniers de se voir poursuivis
pour diffamation ou dénonciation calomnieuse107, ou pour dénigrement fautif (Dupisson, 2013, p. 82 et s. ; Mathieu, Terryn, 2016).
Pour pallier ces difficultés, le projet de texte législatif proposé
par la Fondation Sciences Citoyennes visait à renforcer le rôle de la
liberté d'expression dans la protection des lanceurs d'alerte, en proposant l'adoption de deux dispositions. D'abord, il était énoncé que
« sous réserve [du respect des procédures établies pour recevoir
l'alerte], le lanceur d'alerte jouit de la liberté d'expression et du
droit de critique renforcés qui sont nécessaires au débat public portant sur les intérêts essentiels que sont la santé publique et l'environnement, particulièrement dans les hypothèses où l'incertitude est
persistante » (art. 10.1). La formulation proposée n'a cependant pas
été retenue en l'état et le texte finalement voté n'est pas dépourvu
d'ambiguïtés. Si l'article premier de la loi du 16 avril 2013 « se
place résolument sur le terrain de la liberté d'expression » (Trébulle,
2013, nº 9) en consacrant le « droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information », la formulation est bien moins
explicite que ne l'était celle du premier projet. Cette évolution est
107. À propos d'une salariée dénonçant des agissements de harcèlement moral dont elle
s'estimait victime, la Cour de cassation a récemment écarté la poursuite pour diffamation au profit de la dénonciation calomnieuse, « lorsqu'il est établi, par la
partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués » : Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, nº 15-21823.

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