Manuels - Droit des régimes matrimoniaux et du PACS - 5e - 56

DROIT DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU PACS

de la solution pourrait s'apparenter à un certain aveuglement quand le
mariage n'est plus que fiction. Existe-t-il encore des dettes ménagères
quand le ménage semble avoir disparu en raison de la séparation des
époux ? Une application mesurée du principe posé implique qu'un tel
questionnement ne soit pas évité.
La séparation de fait ne met certainement pas fin aux droits et devoirs du
mariage, il est donc de bonne règle que la solidarité survive, en droit, tant que
persiste le devoir de communauté de vie. Orthodoxe, la solution est encore
juste chaque fois qu'elle joue en faveur de l'époux abandonné dont les intérêts coïncident alors avec ceux du crédit. Pourtant, elle est moins heureuse
quand elle conduit systématiquement à sacrifier ce conjoint à la sécurité des
tiers dont les intérêts ne peuvent cependant pas être méconnus tant qu'ils
sont de bonne foi.
La marge de manœuvre du juge est alors forcément très étroite pour tenter de corriger l'automatisme parfois excessif du principe posé59. Il est néanmoins arrivé que soit opérée la disqualification de la dette ménagère, réalisant ainsi un tempérament jurisprudentiel marginal et réaliste60.
Dans un arrêt, remarqué bien que non publié61, la Cour de cassation a pu considérer
qu'en souscrivant un abonnement téléphonique à son seul nom et une fois la séparation
de fait consommée, un époux contracte une dette qui n'a pas pour objet l'entretien du
ménage. En décidant cela, elle n'infirme aucun principe : la séparation de fait demeure
de règle générale inopérante à faire cesser a priori la solidarité. La haute Cour admet seulement le fléchissement du principe dans certaines circonstances. Et la séparation de fait
est précisément une circonstance de fait qui, dans certains cas limites, peut conduire à
écarter la qualification de dette ménagère62. À condition qu'elle reste marginale, cette analyse remédie utilement à la rigueur du principe et évite ainsi que soit aveuglément rattachée une dépense aux vestiges d'un ménage par trop évanescent.

Reste qu'informé de la séparation de fait des époux, un créancier conciliant ne pourrait pas consentir à la désolidarisation d'une dette ménagère au
profit de l'un d'entre eux63. Admettre la solution contraire reviendrait à occulter que cet effet légal du mariage n'existe pas seulement dans la perspective
d'une sécurité de paiement accordée aux créanciers domestiques mais bien
en contemplation de l'intérêt d'époux qui se doivent mutuellement entraide
et solidarité morale, tant que leur union n'est pas dissoute.
59. Admettre l'opposabilité de la séparation de fait à des tiers qui ont pu se croire légitimement protégés
par la situation juridique d'époux de leur contractant est indiscutablement délicat. À cet égard, il est utile
de souligner que la solidarité prend fin, à l'égard des tiers, non au prononcé du divorce mais après qu'aient
été accomplies les formalités de publicité prescrites par les règles de l'état civil. Cass. 1re civ., 13 oct. 1992,
JCP 1993. II. 22047, note J. Hauser ; JCP, éd. N 1993. II. 110, obs. G. Wiederkehr ; Defrénois 1993. art. 35490,
obs. G. Champenois et 708, obs. J. Massip ; RTD civ. 1993. 180, obs. F. Lucet et B. Vareille. Même solution
pour un jugement de séparation de corps : Cass. 3e civ., 2 juin 1993, Bull. III, no 74.
60. Comp. Récemment Cass. 1re civ., 17 mai 2017, pourvoi nº 16-16732.
61. Cass. 1re civ., 15 nov. 1994, Defrénois 1995. art. 36040, obs. G. Champenois ; JCP, éd. N 1995. II. 1465,
note G. Wiederkehr ; RTD civ. 1995. 421, obs. B. Vareille.
62. À rapprocher : Cass. 2e civ., 24 nov. 1999, Bull. II, no 173 ; JCP 2000. II. 10284, note J. Casey. La solidarité
est exclue pour un bail conclu par le mari pour son usage exclusif après l'ordonnance de non-conciliation
ayant autorisé les époux à résider séparément, ce bail n'étant pas destiné à l'entretien du ménage. Également en ce sens Cass. 1re civ., 27 avr. 2004, RTD civ. 2004.763 obs. B. Vareille.
63. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, pourvoi nº 14-17906. Marie Nicolle, Les effets d'une convention de désolidarisation d'une dette ménagère, D. 2015. 1756.

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