Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 26

Lobbying et stratégies d'influences en France

l'État »30. L'effort multiséculaire de centralisation du pouvoir,
conduisant au remplacement de l'administration traditionnelle selon
le modèle judiciaire du conseil, par une administration bureaucratique
des services centraux des ministères31 suscitait oppositions et
résistances de la part des parlementaires qu'il écartait peu à peu du
pouvoir32. Les logiques d'autonomisation de la monarchie administrative
- nécessité de réduire les dépenses et de trouver de nouveaux
gisements fiscaux pour assurer le financement des interventions
nouvelles - sont entrées en contradiction avec les intérêts de fractions
des groupes dominants - aristocratie, clergé - qui lui étaient
traditionnellement liés. Lorsqu'apparurent les premières pièces
constitutives d'un véritable espace public33, que sont les livres
imprimés, les journaux et les libelles, ces groupes n'hésitèrent pas à
faire médiatiquement pression sur le gouvernement en mobilisant la
foule des lecteurs appelés à se constituer en tribunal de son action par
la publication de factums judiciaires et l'alimentation en informations
gênantes sur les personnes influentes d'une abondante littérature
clandestine34 afin de miner leur crédit, de déstabiliser le
gouvernement et, à la fin de l'Ancien Régime, de bloquer toutes les
réformes qui les affectaient.
Les principales professions, quant à elles, avaient su s'organiser
et obtenir de la monarchie le droit de gérer elles-mêmes leurs
affaires sous des statuts corporatifs différenciés - le métier réglé,
le métier juré et le métier privilégié - qui leur conféraient des
privilèges variables et une autonomie plus ou moins grande, mais
sauvegardaient en tout état de cause les intérêts collectifs de leurs
membres35. Ce mode de production corporatiste qui contrariait le
développement des forces productives36 en le conditionnant aux
30. Pour Richelieu, la probité exigée d'un conseiller d'État « n'empêche pas qu'un homme ne
puisse faire ses affaires en faisant celles de l'État, mais elle lui défend seulement d'y
penser au préjudice des intérêts publics qui lui doivent être plus chers que sa propre
vie », Testament politique, Le Breton, 1765 p. 272. Il recommande au monarque de traiter
ses conseillers: « un peu libéralement » afin « qu'ils croient que leurs services ne
demeureront pas sans récompense », p. 295-296.
31. F. BURDEAU, Histoire de l'administration française, Montchrestien, 1994, p. 27-31.
32. F. BIDOUZE, « Pour une autre histoire des parlements au XVIIIe siècle : discours et
représentations, une culture française du politique », Parlement(s), nº 11, 2015, p. 119 et s.
33. Y. POIRMEUR, Justice et medias, LGDJ, 2012, p. 25 et s.
34. R. DARNTON, Édition et sédition, Gallimard, 1991, p. 213 et s.
35. F. OLIVIER-MARTIN, Histoire du droit français des origines à la Révolution, CNRS Éditions, 2005,
p. 619 et s.
36. Pour Marx et Engels, la Révolution résulte de la montée de la puissance économique de
la bourgeoisie - proto-industrie, commerce, finance - enrichie, mais dont l'ascension
sociale est entravée par la structure politique - privilège nobiliaire - de la société, et le
développement économique contrarié par la structure sociale - organisation corporative.

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