Contextes - Penser la technique juridique - 204

196

LA teChNIque JurIDIque

tout l'art juridique paraît ainsi absorbé par un art de la qualification
qui est en vérité une opération logique de distinction et de délimitation.
un ensemble de situations soumises à un même corps de règles relève d'un
même concept qui les unifie. On mesure ainsi l'enjeu qui s'attache à la
définition. Celui qui détient le pouvoir de définir, détient aussi le pouvoir
de qualifier. L'inverse n'est pas vrai car lorsque le juge qualifie les situations qui lui sont soumises il le fait souvent à l'aune de définitions légales
préexistantes. en ce sens, le juge peut véritablement être dit « bouche de la
loi » s'il ne modifie pas les définitions légales.
7. Deuxième difficulté : le concours de qualifications. - Il existe une
autre difficulté de qualification qui tient paradoxalement à la loi elle-même.
La loi peut susciter des cas indécidables. Le problème n'est plus de savoir
si l'on est dans ou hors du concept mais dans quel concept nous nous
trouvons exactement. Certains cas relèvent non pas alternativement d'un
concept ou d'un autre mais de deux concepts simultanément.
Il existe de nombreux exemples de cette situation qui se résolvent plus
ou moins facilement. une faute civile peut également être une faute pénale
comme dans le cas du vol mais encore de la diffamation, des coups et
blessures, du meurtre, etc. La loi prévoit alors que le juge pénal mènera
de front deux procès : celui de l'infraction pénale proprement dite et celui
de l'indemnisation de la victime. Mais que décider si les qualifications
sont incompatibles ? une telle situation est plus fréquente qu'on pourrait
intuitivement le supposer. Par exemple, en droit pénal, il existe une contravention pour la découpe illégale d'arbre. Mais si je vais couper moi-même
un sapin pour noël n'est-ce pas plutôt d'un vol dont il s'agit ? Seulement,
pour voler, j'ai dû découper l'arbre. Va-t-on m'appliquer une double peine,
pour la découpe et pour le vol ? en général, le problème est contourné en
se contentant de la peine la plus haute9.
Mais le contournement de la difficulté est parfois impossible. en droit
des contrats, la nullité du contrat peut être demandée pendant un certain
délai (cinq ans) alors que l'action en garantie des vices cachés de la chose est
enfermée dans un délai plus bref (deux ans). Il est évident que si la situation
de fait est qualifiée de vices cachés, l'action intentée trois ans plus tard n'est
plus recevable : l'est-elle encore sur le fondement de l'erreur ? La double
qualification aboutit à des résultats incompatibles, l'action ne pouvant être
dite à la fois recevable et irrecevable.
Ce concours de qualification entre erreur et vices cachés est quasiment insoluble. techniquement, les concepts d'erreur et de vices cachés
9. Cass. crim., 10 févr. 1965, Bull. crim., n° 44.

Contextes - Penser la technique juridique

Table des matières de la publication Contextes - Penser la technique juridique