Contextes - Penser la technique juridique - 231

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la réalité de l'État moderne »43. Ces analyses de Jacques ellul rejoignent les
observations d'André Mathiot44 qui affirme que le « recours aux techniciens s'impose comme un fait évident de notre époque administrative »45.
Selon lui, « les grandes options relèvent des gouvernants ; la base sérieuse
des décisions qu'exige la vie politique est fournie par les experts »46 de sorte
que « la bureaucratie moderne est [...] toujours, directement ou indirectement une technocratie »47.
Les « nouveaux » objets du droit ainsi que la domination d'une rationalité technicienne (au sein de l'administration en premier lieu mais pas
seulement) ont des conséquences sur la production normative.
Ces conséquences sont tout d'abord d'ordre quantitatif. Ainsi que cela
vient d'être relevé, instruments des politiques publiques, les normes juridiques connaissent une expansion considérable. Mais des conséquences
qualitatives se font aussi ressentir48. Devenu le principal outil de cohésion
de la société, le droit est notamment chargé d'assurer la cohérence des activités économiques et techniques. Le droit devient ainsi « le moyen d'ajuster
de façon toujours plus exacte les actions technicisées »49. Ceci appelle
l'édiction de règles juridiques non seulement abondantes mais aussi changeantes, précises et complexes. Le droit est, en effet, contraint de s'adapter
sans cesse aux activités qu'il prétend régir. Le droit présente donc désormais
un caractère extrêmement instable50. L'organisation par le droit d'actions
43. Op. cit., p. 195-196.
44. A. Mathiot, « Bureaucratie et démocratie », EDCE 1961, p. 11-30. Les auteurs
constatant l'établissement d'une technocratie sont nombreux : v., par ex., sur cette question : J.-F. Mattéi, « L'État moderne et l'inflation de la technocratie », in l'État au xxe siècle,
S. Goyard-Fabre (dir.), Vrin, 2004, p. 289-305.
45. A. Mathiot, « Bureaucratie et démocratie », préc., p. 16.
46. Ibid.
47. Ibid.
48. en réalité, comme cela est fréquemment relevé, quantité et qualité sont liées dans la
mesure où la mauvaise qualité des normes juridiques a pour effet une augmentation du
nombre de celles-ci.
49. J. ellul, « Le droit occidental en 1970 à partir de l'expérience française », Futuribles,
10 janv. 1963, p. 14. L'auteur écrit ainsi : « Les moyens techniques sont bien mis à la disposition de l'homme, et en fait utilisés par des individus. Mais ceux-ci ne peuvent évidemment
être laissés à leur initiative, à leur humeur dans cet usage. Plus ces moyens sont puissants,
plus ceux qui les utilisent doivent être encadrés. Plus ces moyens sont rapides, plus ceux qui
les utilisent doivent être coordonnés aux autres. Plus ces moyens sont coûteux, plus ceux qui
les utilisent doivent être contrôlés. D'autant plus que ces moyens techniques ne sont jamais
conçus pour une action solitaire : il s'agit toujours, forcément, d'une action concordante avec
celle des autres, soit que ces moyens se conditionnent mutuellement, soit que leur densité
suppose une extrême régulation pour qu'ils ne se nuisent pas réciproquement » (ibid.).
50. Certes le caractère démocratique de notre régime politique, qui conduit à l'alternance des gouvernants au pouvoir, implique nécessairement une instabilité du droit comme
l'observait tocqueville : « l'instabilité législative est un mal inhérent au gouvernement

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