Contextes - Penser la technique juridique - 34

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L'eMPIre De LA teChNIque Au rOyAuMe Du DrOIt

n'en est pas moins, aussi, une aventure : il évolue dans ses représentations,
avec les modes de penser et d'agir. Or, la technique, qui n'est qu'une clé
de lecture, un jeu de réflexion, mais qui n'est pas pour autant une fable car
elle désigne des choses incontestables et même de plus en plus envahissantes dans l'univers de nos représentations3, a cherché à certains égards,
et jusqu'à un certain point, à présider aux destinées du droit, aux réflexions
des juristes, en agissant, et en travaillant, de l'intérieur, l'être du droit4, pour
lui donner une direction, de manière presque imperceptible, et donc en un
sens assez dangereuse.
Il s'agit de penser l'essence du droit en tant qu'elle tend à se confondre
avec l'essence de la technique juridique5. À cette fin, il convient de se doter,
en prenant le recul qui s'impose, d'une définition de la technique, dont
il faut penser l'essence, en relation avec celle du droit et de la technique
juridique. Notion tout droit sortie d'une conscience inquiète de ce qui la
menace ou l'emprisonne, la technique peut se définir comme un mode
de penser et d'agir par lequel l'homme se voit conduit à rationaliser et
à maîtriser son environnement. en tant qu'elle façonne comportements et
mentalités6 et investit en particulier l'univers des théoriciens et des praticiens du droit, elle est un mode de penser et d'agir par lequel ceux-ci croient
pouvoir, par le droit, rationaliser et maîtriser leur environnement, tant
naturel que juridique7. Sans doute n'y a-t-il pas, en ce domaine, un seul
3. en un sens, tous les fondements théorico-historiques du droit sont des fables, des spéculations métaphysiques. Ainsi, de l'hypothèse du passage de l'état de nature à la société civile
dans la théorie du contrat social. Il est certain que l'histoire du droit et de la pensée juridique
ne se plie pas à ces schémas issus de reconstructions intellectuelles a posteriori. L'histoire est
faite d'une infinité d'évolutions complexes et incessantes. Il est pratiquement impossible de
la déplier correctement, en identifiant des périodes de temps simples. La vérité de l'histoire
est trop vaste, trop sinueuse, pour pouvoir être pensée et exprimée clairement et distinctement. Néanmoins, les lumières, même faibles, que fournit l'idée qu'on s'en fait, éclairent sur
les processus, souvent imperceptibles et lents mais puissants, d'enfermement de la pensée.
4. La technique voit plutôt, dans la forme et la force, des moyens d'étendre son empire
et, dans le fond et la foi, plutôt des éléments rebelles. La forme et la force juridiques sont
les colonnes de son temple. La forme du droit est la cause formelle ; la force du droit, la
cause motrice ou efficiente. Le fond et la foi juridiques sont au contraire les portes de
sortie du temple de la technique. Le fond du droit est la cause finale ; la foi dans le droit,
la cause matérielle.
5. La question de la technique a été un questionnement sur la machine et la langue
(e. Jünger), sur l'être et la pensée (M. heidegger), sur la société et le droit (J. ellul). Le
questionnement sur le droit doit être prolongé.
6. G. Simondon, Sur la technique (1953-1983), PuF, 2014 : sur la notion de « mentalité
technique ». L'essentiel, selon L. Mumford, est que la technique ne soit pas érigée en absolu
et que les buts de l'homme ne lui soient pas subordonnés (Technique et civilisation, 1934,
Seuil, 1950).
7. Pour penser librement la question de l'influence de la technique sur le droit, il paraît
judicieux que le juriste ne commence pas par définir la technique juridique. Cette dernière
notion se précisera au fil des questions.
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