Contextes - Penser la technique juridique - 41

ALeXANDre DeSrAMeAuX

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vertu et exiger de lui qu'il la cultive sans cesse, car la vertu, identifiée à une
certaine idée de la justice, devient le souverain bien.
Être un citoyen vertueux, en pensée et en acte - ce qui n'exige pas encore
de l'environner d'une quantité de règles, de procédures, de contrôles et de
personnels21 -, consiste à réaliser ce qu'Aristote appelle la justice générale.
Celle-ci est parfois envisagée par lui, suivant ainsi Platon, comme participation au maintien de l'ordre du cosmos et de la cité. De même, chez
Pindare, héraclite, les auteurs tragiques, être juste, c'est concourir à un
idéal d'ordre et d'harmonie. Le droit, de ce point de vue, voit plus loin
que la technique. Il tend à se confondre avec un souverain bien, qui n'est
pas sous l'empire de la technique. Il vise quelque chose de noble, de sacré,
mais de vague, d'idéal, en germe en l'homme : quelque chose à développer,
à atteindre, une supériorité morale, l'idée d'harmonie, intérieure et sociale.
Il est une praxis.
Mais les Grecs, sous l'autorité d'Aristote, définissent aussi le droit
comme justice particulière, certes vertu sociale à l'origine, mais bientôt
poiêsis, activité de spécialistes, règle découverte ou façonnée par un tiers.
et c'est cet aspect du droit qui ne cessera ensuite de se développer, au détriment de l'autre approche. La justice particulière se généralisera, accaparera
le droit et la réflexion juridique, tandis que la justice générale se particularisera, se marginalisera, dans l'expérience et la doctrine juridiques. Or,
la technique imprègne infiniment plus la justice particulière que la justice
générale, même en tant que fin, et s'appuie donc infiniment plus sur l'une
que sur l'autre pour étendre son empire.
Selon cette perspective, en effet, la fin ultime est l'équité. Le droit est ars
boni et aequi, suum cuique tribuere, juste milieu objectif, part ni excessive,
ni insuffisante, due par les uns, revenant aux autres. À cette fin, il devient
aussi savoir-faire et parole d'expert. Il n'est plus l'affaire de tous, de chaque
citoyen censé réaliser le droit en agissant comme il faut, mais l'affaire de
quelques-uns, de ces autorités spécialement habilitées à dire le droit. Dès
lors, la vertu s'éteint, l'attitude juste s'éclipse derrière le juste dans les
choses. Le droit ne se cultive plus mais se travaille, ce qui laisse de moins
en moins de place, en vue de le perfectionner, à l'effort personnel sur soi,
à l'intuition, à l'approximation. On mesure peu, en effet, dans la justice
générale. Au contraire, avec l'essor de la justice particulière, le droit, comme
fin même, devient formulable, prend un tour mathématique. tout devient
calcul, calculable, mesure, mesurable : monde, homme, actions, valeurs,
21. Lorsque la qualité ou valeur d'une chose deviendra un mystère, objet d'appréciations
subjectives, la quantité ou le nombre des choses, objectif en apparence, finira par régner,
par l'obsession du chiffrage : améliorer le droit signifiera augmenter le nombre des normes,
textes, institutions, etc., comme le nombre et la fréquence des contrôles, élections, etc.
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