Contextes - Le formalisme - 59

LA DICTÉE DU TESTAMENT AUTHENTIQUE

Une étude de l'interprétation de l'article 972 du Code civil tend à
révéler une certaine stabilité qu'avaient également recherchée ses principaux artisans comme Bigot de Préameneu et le tribun Jaubert. À cette
recherche de stabilité interprétative, s'ajoutait par ailleurs une tendance des
juristes à renouer la chaîne du temps à une époque où le Code civil était
volontairement présenté, non sans artifice, comme l'œuvre d'une longue
tradition synthétisée par ses rédacteurs. Dès la promulgation du code, ses
commentateurs attribuaient en effet aux énoncés normatifs nouveaux des
significations qui n'étaient pas incompatibles avec celles qui avaient pu leur
être attribuées dans le passé, notamment par les commentateurs de l'ordonnance de 1735. Le rite de la dictée devait être exécuté par le disposant et
son notaire, sans qu'aucun formalisme de substitution ne pût être admis.
Cette étude macro-historique du formalisme testamentaire, de Rome
aux temps présents, infirme clairement l'hypothèse de Josserand d'une
désolennisation continue du testament157.
L'argument historique déployé par le juriste n'a cependant pas pour
finalité de satisfaire un désir de curiosité scientifique : l'histoire du droit
est un moyen, plutôt qu'un but. Au même titre que l'économie, la science
politique et la sociologie, l'histoire permet au juriste de réaliser un travail de
contextualisation de la règle de droit. S'agissant du testament authentique,
et plus spécialement de la formalité de la dictée, il paraît évident que la
société dans laquelle agit désormais le formalisme de l'article 972 est bien
différente de celle qui a donné naissance à l'ordonnance sur les testaments
de 1735 et au Code civil de 1804. Les risques de captation, en présence d'un
ou de deux notaires paraissent moins grands, sinon inexistants. L'illettrisme
est bien entendu moins répandu qu'il ne l'était entre la fin du xviiie et le
début du xixe siècle. Et, fort de ce constat, le formalisme de l'article 972
mériterait désormais de recevoir une interprétation plus souple, à la faveur
de l'intention du testateur. De lege lata, nous considérons en effet que la
rigueur de la Cour de cassation est parfaitement injustifiée, sauf à considérer que toute interprétation juridique est par nature littérale, excluant
ainsi tout procédé de l'investigation auxiliaire.

157. Josserand, lui-même, s'était contredit et avait nuancé sa position par trop simpliste
dans une chronique publiée en 1933, présentant la renaissance du formalisme comme l'une
des caractéristiques de l'évolution du droit (Josserand L., « Libéralisme et verbalisme »,
D. 1933, p. 65). S'agissant du formalisme des actes juridiques, il relève en effet un double
courant jurisprudentiel : tantôt les tribunaux réagissent contre le formalisme ; tantôt ils le
créent ou l'aggravent, de sorte que leur œuvre serait parfois de désolennisation, parfois de
solennisation. Il oppose ainsi deux courants : l'un libéral et antiformaliste ; l'autre formaliste
et verbaliste.

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