Hors collection - Les 25 ans de la relance de la codification - 55

TABLE RONDE EN HOMMAGE À GUY BRAIBANT

Un autre souvenir marquant concerne la volonté farouche de Guy
Braibant de poursuivre le travail de codification. Il m'avait invité à rechercher des écrits de Tocqueville, dans ses Carnets de voyage en Amérique, sur
la codification. J'ai trouvé ce passage, concernant l'utilité de la codification
en Amérique, afin de faire sortir le droit des mains des sachants, de ceux
qui, grâce à leur monopole du savoir juridique, faisaient de l'argent. Plus le
droit est obscur, plus le pouvoir politique et financier de quelques-uns est
renforcé. La codification permet, selon les quelques mots de Tocqueville, de
démocratiser l'accès au droit. Je crois que dans la vision de Guy Braibant,
la codification permettait au peuple de se réapproprier le droit. Cela faisait
partie de sa vision démocratique de la société : la codification est l'outil
pour éviter que le droit ne soit l'apanage de quelques-uns, de ceux qui en
font le plus grand profit.
Guy Braibant était quelqu'un d'anxieux, de tenace. Il ne lâchait rien. Il
pouvait même être pénible pour ses collaborateurs. Comment l'apaiser dans
les périodes où il mettait sur ses collaborateurs une pression considérable ?
Un jour, il m'avait fait une confidence sur sa jeunesse au lycée Jansonde-Sailly. Il était d'origine juive et, à son époque, les parents d'élèves se
plaignaient de ce que les premiers prix étaient monopolisés par des lycéens
juifs. Une mère avait ajouté « sauf Guy Braibant ». La mère de Guy Braibant
avait répliqué que lui aussi était juif, ce qui avait clos la conversation. Je
me suis souvenu de cet échange un jour où il était un peu - excusez-moi
Françoise Fabiani - plus pénible que d'autres, pour lui dire : « Mais monsieur
le président, les chars allemands ne sont pas place de la Concorde ». À chaque
fois, cette répartie avait pour effet de l'apaiser et de l'aider à relativiser les
enjeux. Mais Guy Braibant ne lâchait rien, il savait ce qu'il voulait et il a
toujours fini par l'obtenir, dans l'intérêt général.
Le dernier souvenir est un peu plus personnel et partagé avec Elisabeth
Catta, présente dans cette salle. Il s'agit des derniers moments de Guy
Braibant à la Commission supérieure de codification. Il a en effet tenu le
plus longtemps possible, mais il lui est arrivé, ce qui nous angoissait un peu
tous, d'oublier une réunion. À la fin, pour le ménager, nous organisions
des réunions de travail dans son appartement. Nous avions rendez-vous un
matin à dix heures et il avait oublié. Nous étions en « uniforme » : costume
cravate ou tailleur ; nous avons sonné pendant un long moment. Guy
Braibant est arrivé en robe de chambre. Une des dernières réunions de
travail que nous avons eues était donc chez lui. Guy Braibant en robe de
chambre, présidant notre réunion de travail de façon très affectueuse, très
paternelle, pour continuer à faire avancer les travaux de codification : c'est
l'une de ces images empreinte de beaucoup d'affection que je garde de lui.

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