Remarques sur la parole où des équipes s'affrontent, conduites par des chefs de bande. Il y a bien des années je suivis les séances où, sur l'initiative du parti socialiste, fut rouverte l'affaire Dreyfus. Jaurès parla deux jours. Qu'il était long ! Sa voix monocorde, le geste indéfiniment répété de son bras court qui balayait le devant de la tribune, eussent découragé toute autre assemblée. Mais celle-là, qui le connaissait de longue date, accumulait ses énergies. L'ennui préparait l'explosion. Enfin Jaurès annonça un dilemme qui allait résumer le débat. C'était le signal attendu. Il commença en détachant toutes ses syllabes (il faut lire ce qui suit avec un aigre accent méridional) : « Ou - le - Par - ti - Nat - ion - a - liste - a - cru - au - faux - bor - de - reau - an - noté - par l'empe - reur - d'Alle - magne... Ici, tumulte : « Hou ! Hou ! » à gauche. Protestations furieuses à droite : « Oui ! Oui ! C'est la vérité. » Un temps, et Jaurès se tourne vers la gauche avec un large rire : « Et il est le dernier dans l'ordre de l'intelligence ! » 36