Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 104

LA SOCIETE D'AUSTERITE

évoluant à l'intérieur du droit et de la société, fonde également des pouvoirs diffus, déconnectés des responsabilités sociales ; celles de l'État et des politiques
démocratiques.
On l'a déjà vu. Ce type de pouvoir se transforme en politique de la peur, de
l'incertitude et de l'anxiété généralisée 64. Il y trouve de nouvelles formes de légitimation qui affectent les libertés civiques et les droits de l'homme 65. Toutefois, la liquéfaction des sociétés est fragmentée, et le pouvoir qui s'exerce est de
moins en moins encadré par des structures destinées à cette fin. Le droit est alors
soumis à l'influence déconcertante du fait accompli qui n'emporte aucune raison
significative 66. Du coup, la relation entre l'action et les résultats politiques et
sociaux ne correspond plus à une stratégie rationnelle cherchant à suivre des objectifs précis, car dans la modernité liquide cette relation s'établit à partir de
l'idée de « dommages collatéraux ». Cela veut dire que la liquéfaction de la société n'impacte pas seulement le tissu social, mais qu'elle interfère dans le politique et le juridique, dont les frontières, devenues opaques et poreuses, provoquent des dommages collatéraux.
D'origine militaire, l'expression « dommages collatéraux » synthétise l'idée
d'une action qui au-delà des effets attendus cause des conséquences non intentionnelles lamentables 67. Cette notion ne définit pas clairement la différence entre l'action et les sujets de droit. Selon une perspective juridique, seuls les individus peuvent être sujets de droit et seuls les sujets de droit peuvent revendiquer des droits.
Pour Anton Schutz, la notion de « dommages collatéraux » altère cette relation juridique dans la mesure où le statut de sujets de droit se rapporte aux dommages
subis par les victimes, c'est-à-dire que l'action du dommage devient elle-même
sujet de droit. Autrement dit, la narrative concernant les dommages collatéraux se
réfère à une action-victime de ses propres effets indésirables, ce qui suggère que
cette action serait traitée injustement si elle était comprise comme responsable de
ses propres conséquences 68. Pour cet auteur, penser en termes de « dommages collatéraux » présuppose tacitement une inégalité des droits et des opportunités préexistantes, car on accepte a priori une distribution inégale des coûts d'une action -
ou d'une inaction - qui cause des dommages 69.
Le recours à cette expression militaire indique que, par-delà les effets attendus
d'une action, d'autres effets non attendus peuvent survenir. Cela est problématique
pour le droit en ce qui concerne la relation entre ses sujets et les actions qu'il régit.
La narrative des « dommages collatéraux » dissocie cette relation, donnant lieu à
l'émergence d'un sujet dépossédé des droits, dont la situation de victime dépend
64. Ibid., p. 5.
65. Ibid., p. 9.
66. Cf. Anton SCHUTZ, « How auferbeiten "Liquid Society"? Zygmunt Bauman's wagner », dans
Jiří PRIBAN, Liquid Society and Its Law, op. cit., p. 41-60.
67. Anton SCHUTZ, « How auferbeiten "Liquid Society"? Zygmunt Bauman's wagner », op. cit.,
p. 45.
68. Ibid., p. 46.
69. Sur ce point, voir aussi Zygmunt BAUMAN, Collateral Damage: Social Inequalities in a Global
Age. Polity Press, Cambridge, 2011, p. 5.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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