Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 30

LA SOCIETE D'AUSTERITE

La naturalisation de ces dichotomies classiques se manifeste aujourd'hui par
l'alliance entre la néo sociale-démocratie et le conservatisme, la tradition et la
(dé)traditionalisation, l'État et le marché, le public et le privé, les respon-sabilités
individuelles et collectives. Ces amalgames se tissent à partir d'un consensus créé
autour des thèmes tels que la révision des droits du travail, l'État post-régulateur,
la stratégie pour l'emploi de l'OCDE, la modification du modèle social européen,
le workfare, les partenariats et l'entrepreneurisme, le droit du travail vu comme
élément de compétition au sein d'un marché libre, la responsabilité individuelle
des travailleurs et des chômeurs et la recontrac-tualisation de la citoyenneté.
La métaphore de la fléxisécurité a traduit cette vision du monde du travail
désormais conçu comme un espace où se réalise l'union d'une politique de
l'emploi social-démocrate à l'intérieur de celle d'un marché néolibéral. Selon les
mots de Bob Jessop 16, un « imaginaire économique néolibéral » s'est construit ;
il se réalise par le désenchâssement de l'économie du monde social, à travers,
notamment, la légitimation des choix politiques permettant l'indexation des
droits sociaux et du travail aux cycles économiques. Par ailleurs, la
recontractualisation de la citoyenneté, au sens du market friendly, subordonne
l'action de l'État au « bien commun » du marché. On y reviendra plus tard.
Dans ce contexte économique, un fait a surpris : comment se fait-il que les
économistes de la London School of Economics n'aient pas prévu l'ampleur de
la crise mondiale ? Lorsqu'ils ont été mis en cause par la reine d'Angleterre, dont
le discours dévoilait déjà la montée de l'austérité en raison de l'étendue de la
pensée néolibérale 17, ces experts, à court d'idées, se réunirent pour en parler aux
décideurs politiques dans le but d'arriver à une réflexion commune. Ils ont admis,
en ce moment, ne pas avoir été suffisamment attentifs aux risques liés au système
financier, car ils pratiquaient une « politique de négation ». On s'interroge :
qu'est-ce qu'ils niaient alors ? À notre avis, ils niaient les méfaits du marché en
demeurant aveugles aux effets socialement pervers de la croissance économique.
L'excès de déréglementation, l'inégalité de la distribution des richesses, la
dissociation de l'économique et du social, ont été les thèmes abordés par les
études réalisées par la Commission mondiale sur la dimension sociale de la
mondialisation, instituée par l'OIT 18. Dans ses conclusions, ce rapport avança
l'idée d'une gouvernance 19 de la mondialisation, en insistant sur la nécessité de
l'institutionnalisation de règles justes au sein du marché et aptes à privilégier les

16. Bob JESSOP, « Cultural political economy and critical policy studies », dans Critical Policy
Studies, 3(3-4), 2009, p. 336-356. .
17. David HARVEY, O Enigma do Capital e as crises do capitalismo, op. cit.
18. OIT, Une mondialisation juste. Créer des opportunités pour tous, OIT, Genève, 2004. Disponible
sur .
19. Concernant les débats théoriques sur le paradigme de la gouvernance, voir en particulier les
positions contrastées d'André-Jean ARNAUD, Entre Modernité et Mondialisation. Leçon d'histoire de la philosophie du droit et de l'Etat, LGDJ, Paris, 2004, p. 225 et Boaventura de SOUSA
SANTOS, « A crítica da governação neoliberal : o Fórum social Mundial como política e legalidade cosmopolita subalterna », dans Revista Crítica das Ciências Sociais, 2005, p. 7-44.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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https://www.bobjessop.org/2015/01/26/cultural-political-econo http://www.ilo.org/public/french/wcsdg/docs/report.pdf
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