Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 39

LE MODELE DE L'AUSTERITE

Par ailleurs, dans ces années-là, 8 % des travailleurs vivaient au-dessous du
seuil de pauvreté, les plus jeunes ayant déjà perdu quasi un tiers de leurs revenus.
Les chiffres montrent que, dans l'ensemble, entre 2009 et 2014, le salaire des
hommes a chuté de 1,5 % et celui des femmes a baissé de 10,5 %. Dans cette
période, le nombre des pauvres a augmenté de cent seize mille (par rapport à
2,02 millions), dont un quart d'enfants. En outre, 10,7 % des travailleurs vivaient
au-dessous du seuil de pauvreté, dont 6,3 % en situation de privation matérielle
sévère. Actuellement, un Portugais sur cinq perçoit un salaire au-dessous de
422 euros par mois.
Cette réalité de l'austérité permet de comprendre la double logique de l'action
étatique : d'un côté, l'État apparaît comme le détenteur du monopole de l'austérité légitime, qu'il utilise comme instrument pour lutter contre la crise, empêcher
la débâcle nationale et protéger les individus de la peur et de l'incertitude. D'un
autre côté, l'État s'enfonce dans un processus de démantèlement de l'État social,
dont la mission essentielle est justement celle de la protection collective. Cela se
réalise à partir d'un triple processus : celui de la privatisation des biens publics,
celui de l'individualisation des risques sociaux, et celui de la marchandisation de
la vie sociale. Or, cette orientation de l'austérité nous laisse nuancer les thèses
de Loïc Wacquant et de Zygmunt Bauman affirmant le changement paradigmatique de l'État social en État pénal. Pour ces auteurs, les modèles de law and
order et de la justice criminelle sont frappés par la crise de légitimation de l'État
social, incapable alors de garantir la sécurité et la protection sociale, ce qui donne
lieu à l'émergence d'un modèle de sécurité pénale, vite légitimé.
En fait, l'État n'envisage pas d'alternatives à l'austérité. Pour lutter contre la
crise, il ne se soucie pas du délitement des liens sociaux. Au contraire, l'État
légalise les dispositifs du nouvel ordre social en mettant en œuvre des politiques
qui transfèrent les coûts de la crise à la société, notamment par l'augmentation
des impôts, la baisse des salaires, celle des retraites et des allocations sociales.
Le système de santé aussi est réformé avec l'introduction d'une « flexibilité négative » du travail médical. En outre, la légitimation de l'État d'austérité va de
pair avec les nouvelles logiques de l'État pénal, désormais fondées sur une logique juridique d'un droit pénal de l'ennemi 49. Celui-ci renvoie en effet à la dichotomie « ami-ennemi » de Carl Schmitt 50 et aux politiques de l'inimitié dont
nous parle Achilles Mbembe 51. Cela provoque une anxiété sociale partagée qui
lance les bases pour l'apparition de l'État d'exception qui se légitime aussi socialement au regard de la généralisation de la peur, désormais liée au sentiment
d'insécurité que les gens éprouvent lorsqu'ils sont confrontés à des situations
limites, comme celles des exclus, des migrants, des terroristes. De surcroît, l'État

49. Cf. Miguel POLAINO-ORTS, Derecho Penal del Inimigo, Bosch, Barcelona, 2009, p. 48. Voir
aussi Günther JAKOBS et Manuel Cancio MELIA, Direito Penal do Inimigo: Noções e Críticas.
Porto Alegre. 2008.
50. Carl SCHMITT, La notion de politique, Flammarion, Paris, 1992.
51. Cf. Achille MBEMBE, Politiques de l'inimitié, La Découverte, Paris, 2016.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201739
Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018

Table des matières de la publication Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018
