Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 58

LA SOCIETE D'AUSTERITE

En effet, dans les systèmes démocratiques, il est difficile d'expliquer de façon
acceptable ces dynamiques d'exception que ces nouveaux pouvoirs installent. En effet, elles renvoient à une interprétation non dogmatique du rapport entre le principe
de la séparation des pouvoirs et les contextes concrets de son application. Les sociologies politiques et juridiques essaient d'appréhender ces dynamiques nouvelles à
partir d'un autre angle d'attaque, celui des différentes formes d'inter-pénétration
entre les pouvoirs politiques et les pouvoirs sociaux. Ces dernières s'exercent à travers les partis politiques, les groupes de pression et d'intérêts qui témoignent de
l'existence d'un pluralisme politique, le néocorporatisme, la gouvernance néolibérale, l'autorégulation ou encore par la judiciarisation de la politique, la politisation de
la justice, l'usage alternatif du droit et l'activisme judiciaire.
5.1. L'interpellation de l'État de droit
Conservant à l'esprit les mesures imposées par le mémorandum de la Troïka
au Portugal et les initiatives législatives du gouvernement portugais en matière
de droit du travail, nous pouvons identifier trois questions simultanément posées
à la théorie démocratique et à la théorie du droit par le pouvoir des non-élus. La
première concerne l'interpellation de l'État de droit en raison des effets pervers
de l'austérité. Dans ce contexte, sa mise en cause est inévitable, car la fonction
principale de ce type d'État est celle du contrôle de ses propres légalité et légitimité. Cette fonction de contrôle se situe au cœur de la signification même de
l'État de droit, dont l'organisation politico-étatique est limitée par le droit 7 sur
la base des dispositifs établis par la loi et approuvés par la les représentants de la
nation. L'enracinement national de l'État de droit constitue ainsi un élément intégrant de la modernité constitutionnelle dans la mesure où « l'État agit sur les
citoyens selon les règles définies par les citoyens. Autrement dit, dans l'État de
droit la citoyenneté agit sur elle-même » 8.
Dans la géographie des pouvoirs, néanmoins, les récentes évolutions de l'État
de droit témoignent d'une dynamique d'altération de cette situation. Celle-ci tend
à la mise en cause du mode traditionnel de régulation politique soumise alors à
l'influence grandissante des entités supranationales qui sont guidées par le paradigme de la gouvernance néolibérale. On voit ici l'apparition d'un phénomène
inconnu, celui du « paradoxe de la souveraineté » qui résulte de la nouvelle configuration des pouvoirs où la souveraineté se situe, en même temps à l'intérieur
et à l'extérieur de l'ordre politique national, et à l'intérieur et à l'extérieur de

7.
8.

Cf. José Joaquim Gomes CANOTILHO, Estado de Direito, Gradiva Publicações, Lisboa, 1999,
p. 4
Pierre GUIBENTIF, « Estado de direito e Estado penal - Vicissitudes de um relacionamento »
dans José PINTO MADUREIRA et Borges BORGES (éd.), Desigualdades, Desresgulação e Riscos
nas Sociedades contemporâneas, Edições Afrontamento, Porto, 2008, p. 84. Cet auteur a illustré
cet argument avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (articles 5
et 6).

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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