Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 64

LA SOCIETE D'AUSTERITE

qui a limité la capacité d'intervention de l'opposition politique dont l'action ne
suffit plus à empêcher la promulgation des lois d'exception.
Dans ce contexte, le pouvoir judiciaire a acquis une centralité nouvelle, car il
s'articule avec les instances de décision politique de l'austérité. Sous l'emprise
d'une normativité d'exception issue des politiques d'austérité, les frontières entre
le constitutionnel et l'inconstitutionnel deviennent poreuses permettant l'émergence d'un nouveau champ de disputes politiques où s'installe une tension avec
les tribunaux au regard de leur interprétation législative. C'est à partir de cette
tension qu'apparaît un nouveau constitutionnalisme tourné vers l'activisme judiciaire, établissant un type d'intervention sélectif concernant la concrétisation des
politiques publiques. On peut envisager alors deux scénarios interprétatifs : celui
d'une activité judiciaire régulière concernant le contrôle et l'application du droit ;
et celui d'une intervention du pouvoir judiciaire dans le cadre et en faveur de la
judiciarisation des politiques de l'austérité.
S'agissant de ses fonctions régulières, en contexte de crise, les décisions judiciaires révèlent l'émergence d'une « jurisprudence de l'austérité », dont l'objet
est le droit d'exception. En fait, les tribunaux jouent un rôle majeur dans le processus de rationalisation de la législation, et ce rôle est encore plus important
lorsque la législation présente un caractère politiquement controversé. Du point
de vue politique, la prudence des tribunaux par rapport aux activités des pouvoirs
exécutifs et législatifs permet à ces derniers de se constituer en sujets actifs de la
transformation des sociétés. Par ailleurs, la justice constitutionnelle, dans l'exercice du contrôle de l'activité politique, est appelée à l'appréciation constitutionnelle des lois polémiques, comme c'était le cas de la Loi de finances de l'État de
2011. Dans l'Arrêt 396/2001, la cour a estimé que « l'intention [de la loi], en
raison du compromis avec les instances européennes et internationales, est celle
d'arriver à des résultats à court terme ; [la cour] a compris que du côté dépenses
seulement la diminution des revenus pourrait garantir une efficacité certaine et
immédiate, ce qui est, en l'occurrence, indispensable ». Et d'ajouter que
« n'ayant pas d'évidence en sens contraire, et dans les limites du sacrifice que
l'aspect transitoire et les sommes de réductions permettent d'éviter, il est [important] d'accepter qu'il s'agit d'une forme légitime et nécessaire [...] de réduire
le poids de la dépense de l'État dans le but de rééquilibrer les finances [...] ; à
cette fin [il a été décidé] que ceux qui reçoivent des deniers publics ne sont pas
en situation d'égalité par rapport aux autres citoyens, le sacrifice exigé à cette
catégorie de personnes liée - il faut le rappeler, à la réalisation de l'intérêt public
- ne constitue pas un traitement inégal injustifié ». Selon Araújo et Magalhães,
dans ce cas concret, la justice constitutionnelle portugaise n'a pas décidé « contre
la majorité », même si certains ministres ont voté contre cette mesure considérant
son inconstitutionnalité en raison de la violation du principe de l'État de droit
démocratique et celui de l'égalité 27.

27. La loi nº 64-B/2011 du 30 décembre qui a approuvé le budget de l'État portugais pour l'année 2012.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

64
Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018

Table des matières de la publication Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018
