Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 77

MUTATIONS DU POUVOIR

second élément, il peut être identifié comme étant celui de l'émergence des
« nouveaux déséquilibres » à l'intérieur du monde du travail. Cette thèse a été
soutenue par Alain Supiot lorsqu'il a suggéré l'existence d'une balkanisation des
formes d'emploi et une promotion du contrat, en détriment du statut acquis par
les travailleurs 66. Loin d'être en espace d'équilibre, le droit du travail devient,
plus que jamais, un droit conflictuel à visage contractuel.
6.1.2. Du droit du travail subversif au droit du travail d'exception

La néolibéralisation du droit du travail a été accompagnée par la mobilisation,
l'appropriation et la manipulation de celui-ci à travers certaines pratiques sociales des employeurs au sein de relations de travail fortement asymétriques. Or,
ces droit furent crées autrefois pour la protection des parties plus fragiles dans le
cadre de ces relations. Or, ces pratiques, orientées vers la sélectivité, la dissimulation, la simulation et la fraude invertissent les fonctions du droit du travail.
Dans ce cas, la « matérialisation du droit » correspond à un « usage alternatif
du droit ». Un usage perverti, dont la base est l'interprétation désincarnée de ses
principes. On est ainsi face à l'inversion de la thèse d'Habermas sur la « colonisation du monde vécu » par le droit. En effet, lorsque les employeurs agissent de
la sorte, ils consolident un usage alternatif du droit sans dimension sociale ancrée
dans des pratiques sociales. Celui-ci aurait tendance à se substituer à la juridicisation des relations du travail. Cet agencement de formes négatives de flexibilisation des normes du travail consolide sa violation nous mettant face à un retour
en arrière normatif lié à la libéralisation du contrat de travail. Ces pratiques subversives du droit du travail rompent avec l'idée d'une concordance possible entre
les attentes et les pratiques sociales et juridiques, tel qu'elles ont été promues par
les processus de socialisation juridique et par l'orientation des acteurs sociaux au
regard des valeurs et du droit lui-même.
On constate alors que le « droit institution » 67, dont la fonction est de créer
les conditions de l'interaction entre les individus, intègre une dimension répressive qui résulte d'une interprétation et d'une application unilatérale du droit du
travail : celles des employeurs malveillants. Cela met en évidence l'incapacité
du droit du travail à atténuer et à réguler la peur quotidienne et les attentes des
travailleurs par rapport à leurs avenirs ; celles visant l'embauche, le licenciement,
les accidents du travail, les maladies professionnelles et le harcèlement moral 68.
En ce qui concerne le harcèlement, on se rend compte que dans les locaux de
travail des pratiques subversives d'application du droit se manifestent, car ces
espaces de travail peuvent être vus comme " l'ultime champ de bataille dans les-

66. Cf. Alain SUPIOT, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », op. cit.
67. Cf. Jürgen HABERMAS, Théorie de l'agir communicationnel, Fayard, Paris, 1987.
68. Cf. Philippe AUVERGNOM, « La peur des travailleurs et le droit du travail », dans Droit et Societé, vol. 46, 2000, p. 569-595.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201777

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