Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 97

LE DROIT DU TRAVAIL D'EXCEPTION

êtres humains sont universellement vulnérables. Ces dernières années, ses travaux ont beaucoup influencé les réflexions sur les significations de la vulnérabilité humaine, conçue comme partie prenante de l'action publique juridique et sociale 32. À partir d'un questionnement post-identitaire de nos sociétés, elle propose une thèse alternative à celles des théories classiques axées sur les rapports
entre égalité et protection. L'auteure n'observe pas seulement les discriminations
faites à certains groupes sociaux, mais considère également les faveurs octroyées
par l'État à quelques catégories sociales précises, privilégiées par les institutions
étatiques 33. Ce « nouveau sujet complexe » qu'est la vulnérabilité doit être compris à la lumière du droit et des politiques publiques, en réorientant les idées actuelles sur la responsabilité de l'État vis-à-vis des institutions et des individus.
Du coup, le « sujet vulnérable » doit se substituer au « sujet autonome et indépendant », tel qu'il a été perçu par la tradition libérale.
En débarrassant la notion de vulnérabilité de ses connotations négatives, notamment celles de victimisation, de privation, de dépendance et de pathologie,
Martha Fineman élabore un outil conceptuel apte à redéfinir le rôle de l'État en
tant que garant de l'égalité, susceptible aussi d'envisager une reconstruction robuste de formes de protection sociale 34. Ainsi conçu, le concept de vulnérabilité
devient heuristique, car il s'applique dans le cadre d'autres significations sociales
et culturelles. Cette nouvelle conceptualisation témoigne de l'impor-tance de la
vulnérabilité pour l'élaboration d'une théorie critique des institutions politiques
et sociales, ce qui inclut le droit 35.
En effet, tous les individus sont vulnérables, car ils peuvent devenir dépendants à n'importe quel moment de leur vie. Cette vision s'approche de celle du
droit international des droits de l'homme où la vulnérabilité est conçue de façon
généralisée et partagée, et non uniquement liée à des privations spécifiques. Cela
s'accorde avec l'idée de Bryan Turner d'un caractère universel de la vulnérabilité
et de sa condition inhérente à l'être humain. Pour Martha Fineman, toutefois,
malgré son universalité, la vulnérabilité est vécue à chaque fois de manière singulière dans la mesure où son expérience est déterminée par la qualité et la quantité des ressources dont disposent les individus 36. En proposant de substituer au
« sujet libéral » le « sujet vulnérable », elle développe une critique radicale des
prémisses de l'autonomie, de l'autosuffisance et de la responsabilité individuelles qui caractérisent la pensée libérale. Selon celle-ci, en effet, les individus
sont capables de mettre en avant leurs intérêts personnels par l'acquisition et la
gestion des ressources. Pour Martha Fineman, cela ne correspond pas à la réalité,
et l'on doit mettre au cœur des préoccupations juridiques et politiques le « sujet
32. Cf. Martha A. FINEMAN et Anna GREAR (éd.), Vulnerability. Reflections on a New Ethical
Foundation for Law and Politics, Asghate, Farnham, 2013, p. 13-28.
33. Martha A. FINEMAN, « The Vulnerable Subject: Anchoring Equality in the Human Condition »,
op. cit., p. 8.
34. Ibid. eod.loc.
35. Ibid., p. 9.
36. Ibid., p. 9-10; voir aussi « The Vulnerable Subject and the responsive State », Emory Law Journal, 60: 251-275, 2010, p. 269.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201797

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