Bibliothèque de sciences criminelles - Tome 65 - Le discernement en droit pénal - 43

INTRODUCTION

disputant véritablement que sur la datation exacte du passage d'un système de
responsabilité objectif à sa forme subjectivée130.
43. La confusion du droit civil et du droit pénal ne se vérifie pourtant pas en
droit romain. Il connaissait l'équivalent d'un principe de légalité criminelle, par la
voie des actions en justice dont le nombre était réduit. La demande en réparation
qui n'était pas introduite conformément aux critères d'interprétation stricte de
l'action était rejetée131.
44. La méthode du casus qui était celle du droit romain, parfois présentée
comme un signe de son incapacité à l'abstraction132, ne permet donc pas d'induire
qu'il n'avait pas atteint un degré de sophistication suffisant pour établir une théorie
de la responsabilité, qu'elle soit civile ou pénale. Ils les connaissaient toutes deux
parfaitement mais ils ne pouvaient les formaliser sous forme de théorème, en droit
positif, sans contrecarrer la soumission du droit exprimé par les hommes à un ordre
suprême. Les principes directeurs sont fixés dans le fas, l'ordre objectif du monde, et
n'étaient donc pas à leur portée. Ils se sont donc gardés de poser des règles générales
et impératives, car ils se seraient ainsi érigés en concurrents des puissances les gouvernant. Les textes qu'ils adoptent n'ont qu'une portée subsidiaire, celle de révéler
dans le ius les règles du fas sous l'autorité desquelles ce droit positif se place133. Le
raisonnement par le casus illustre la soumission du droit romain au donné divin.
ainsi que dans « Fault and causation in early Roman law : an anthropological perspective »,
RIDA 1981, 3e série, t. XXVIII, p. 97 et s., où il établit un parallèle entre la causalité et la présomption
de dol et attribue l'inexistence d'une théorie de la faute à la méthode législative casuiste ; B. PERRIN,
« Le caractère subjectif de la répression pénale dans les XII Tables », RHD 1951, 3, p. 390 et s., qui
pressent la nécessité d'une volonté pour la répression en droit antique, condition qu'il dit « subjective » ; P. BONFANTE, Histoire du droit romain, Paris, Sirey, 1928, p. 88. Le doute d'interpolation
pèse pour les mêmes raisons sur les écrits de Modestin qui établissent l'irresponsabilité pénale du fou
en raison de ses carences mentales. Les auteurs tirent argument de l'emploi du terme infelicitas qui
renvoie étymologiquement à la conception antique de l'impunité du fou, s'agissant d'une infélicité au
sens originel de fas, le sort envoyé par les dieux. En ce sens J. E. SPRUIT, « The penal conceptions of
the emperor Marcus Aurelius in respect of lunatics », Maior viginti quinque annis, Utrecht,
éd. J. E. SPRUIT, p. 140, qui y voit pour sa part la confirmation d'une vision religieuse de la punition
du furiosus : « the punishment, however, does not need to be inflicted anymore with human hand. For
whatever undiscoverable reason the gods have struck the person concerned with insanity - possibly as
punishment for a sacral trangression » ; voir également E. ALBERTARIO, Le azioni penali, Pavia,
1915, p. 6 ; Riv. Dir. Comm., 1923, p. 506, et G. ROTONDI, in Scritti giuridici, I, p. 483, qui tiennent
le passage « quae enim in eo culpa sit, cum suae mentis non sit » pour interpolé.
130. B. PERRIN, « Le caractère subjectif de la répression pénale dans les XII Tables », préc.,
p. 383 ; G. CARDASCIA, « Réparation et peine dans les droits cunéiformes et le droit romain », La
Responsabilité à travers les Âges, Paris, éd. Economica, 1989, p. 1 et s. Pour l'étude du système répressif grec, voir L. GERNET, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce,
Paris, éd. Albin Michel, 2001 (1re éd. 1917), qui s'applique à mettre en lumière les prémices de subjectivation du droit dans la seconde partie de son ouvrage.
131. J.-P. ANDRIEUX, op. cit., p. 4, évoque le cas rapporté par Gaius d'un plaideur qui, ayant
à se plaindre que sa vigne fut coupée par un voisin malveillant, engagea devant le prêteur « l'action de
vitibus succisis » (des coupes de vignes), inconnue de la loi des XII Tables, en lieu et place de « l'action
de arboribus succisis » (des coupes d'arbres) qui lui aurait permis d'obtenir condamnation de l'auteur
du dommage. Bien que l'auteur n'évoque pas ce casus en ce sens, il semble possible d'y voir l'une des
applications de la règle nullum crimen, nulla poena sine lege. Voir également P. PICHONNAZ, Les
fondements romains du droit privé, LGDJ, 2008, p. 534, qui reconnaît l'existence de cas de légitime
défense, cf. MACROBE, XII Tables, Tabula secunda : « si nox furtum factum escit, si im occisit, jure
coesus esto » : « si quelqu'un commettant un vol de nuit est tué, qu'il le soit à bon droit ».
132. Notamment A. SCHIAVONE, IUS. L'invention du droit en occident, éd. Belin, 2008.
133. L'œuvre de compilation des textes de droit positif dans le Digeste n'avait pas pour fonction
de révéler une rationnalité positive mais de « comprendre les desseins des dieux à travers la multitude
confuse de textes », cf. A. SCHIAVONE, op. cit., éd. Belin, 2008, p. 18.

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