Bibliothèque de sciences criminelles - Tome 65 - Le discernement en droit pénal - 442

424

LE DISCERNEMENT EN DROIT PÉNAL

écarte cette demande pour juger l'affaire au fond. La Cour de cassation décide
pour sa part de surseoir à statuer par arrêt du 5 juin 1997.
1319. Elle invoque l'impossibilité dans laquelle se trouve le prévenu d'intervenir devant elle avec la latitude que la loi lui accorde et, notamment, d'exercer la
faculté de produire un mémoire personnel ou de se désister de son pourvoi. Elle
ajoute que, dans le silence de la loi sur les effets du recours en cassation formé au
nom d'un prévenu privé de l'exercice de ses facultés intellectuelles et qui ne peut
communiquer avec son avocat, il appartient à la Cour de prendre les mesures
nécessaires pour préserver les droits des parties et l'intérêt de la justice. En
revanche, la Chambre criminelle précise qu'un tel sursis est sans incidence sur
l'exécution des condamnations civiles, auxquelles, selon l'article 569 du Code de
procédure pénale, ne s'attachent pas l'effet suspensif du pourvoi en cassation. Elle
n'examine donc même pas les moyens de cassation proposés, « jusqu'à ce qu'il soit
justifié que l'état de santé du prévenu lui permette d'intervenir personnellement lors
de l'instance engagée devant la Cour de cassation ».
1320. Le problème de droit posé par l'arrêt était le suivant : l'atteinte cérébrale définitive survenue après la commission des faits poursuivis fait-elle obstacle au jugement de l'affaire au fond ? À cette question, la Chambre criminelle
apporte une solution particulièrement protectrice des droits du prévenu. Elle va
jusqu'à appliquer immédiatement le principe qu'elle dégage, au regard de la persistance de cet état au jour du pourvoi en cassation. L'impossibilité pour une
personne d'intervenir personnellement devant la Cour de cassation en raison de
son état de santé oblige la Cour à surseoir à statuer pour préserver les droits des
parties et l'intérêt de la justice.
1321. Cette décision illustre le rôle du discernement en procédure pénale,
appréhendé comme une condition première d'exercice des droits de la défense
devant une juridiction répressive. En l'espèce, si la Chambre criminelle avait cassé
l'arrêt d'appel, elle eut manqué elle-même au principe qu'elle dégage en dehors de
tout texte de loi. Si l'atteinte au discernement rend l'exercice des droits de la
défense impossible, alors la Cour de cassation elle-même ne peut pas statuer sur le
pourvoi formé par l'avocat dans l'intérêt de son client, lorsque ce client se trouve
dans un état qui ne lui permet pas de critiquer les allégations portées à son
encontre. Elle ne pouvait pas, dans le même temps, reprocher aux juges du fond
d'avoir examiné l'affaire au fond alors que l'avocat n'avait pas pu communiquer
avec son client, et rendre une décision qui aurait été de fait entaché du même vice.
1322. Cette décision vaut cassation de la décision d'appel, pour l'application
d'une règle fondamentale qui lie également la Chambre criminelle. Sa solution
rappelle implicitement la fonction de représentation de l'avocat, la défense devant
être exercée personnellement par la personne mise en cause. L'avocat n'a qu'une
fonction de représentation et de conseil du client qui, juridiquement, demeure
auteur du pourvoi quand bien même il ne paraîtrait pas physiquement devant la
Cour de cassation.
1323. Cette solution s'inscrit dans le droit fil de l'arrêt du 23 décembre 1859,
où la Chambre criminelle avait jugé que lorsque le demandeur est dans un état de
démence, « tant que cet état subsiste, il y a pour lui impossibilité de produire sa
défense devant la cour avec la latitude que la loi lui accorde, et d'exercer la faculté,
soit de s'inscrire en faux contre les actes authentiques de la procédure, soit de se

Table des matières de la publication Bibliothèque de sciences criminelles - Tome 65 - Le discernement en droit pénal