Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Jérôme Huet - 277

AGATHE LEPAGE

251

qui permet de réprimer l'incitation directe et publique à commettre un génocide.
C'est de cette convention que l'article 211-2 du Code pénal tire la condition de
publicité qu'il a reprise à son compte. Ce faisant, le législateur a créé une infraction au profil identique à celui des infractions de presse. Pour autant l'insertion
de cette infraction dans le Code pénal n'a guère soulevé de difficulté. Les travaux
parlementaires n'ont certes pas manqué d'évoquer la loi du 29 juillet 1881, mais
ce fut d'abord pour souligner l'absence de « vide juridique »56 en matière de provocation publique au génocide au motif que les articles 23 et 24 de cette loi permettaient déjà de réprimer de tels faits. L'affirmation est piquante que celle d'un
législateur qui déclare d'emblée que les faits qu'il entend ériger en une nouvelle
infraction peuvent déjà être réprimés sur le fondement d'incriminations existantes -analyse qui, au demeurant, appelle la nuance57. Par ailleurs la loi du
29 juillet 1881 a été une source d'inspiration du législateur dont il n'a fait nul
mystère. C'est sur le modèle de la distinction entre provocation suivie d'effet et
provocation non suivie d'effet, opérée par les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881, que la loi du 9 août 2010 a dédoublé l'incrimination de la provocation
au génocide selon qu'elle a été ou non suivie d'effet58. La convention de Rome,
elle, ne procède pas à cette distinction. La loi du 29 juillet 1881 n'a donc pas été
perdue de vue au moment de la création de l'article 211-2 du Code pénal. Elle fut
largement évoquée, mais nullement au regard du principe même de l'introduction de la nouvelle infraction dans le Code pénal. Pour le législateur, il était acquis
d'emblée que le Code pénal serait le réceptacle de cette infraction.
13. L'incrimination dans le Code pénal de la provocation publique et directe
à commettre un génocide n'a guère fait couler d'encre. On ne peut pas en dire
autant de l'insertion dans le Code pénal, par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre
2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, d'un
article 421-2-5 incriminant « le fait de provoquer directement à des actes de
terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes ». Il est vrai que la
56. Sénat, 14 mai 2008, rapport n° 326 fait au nom de la commission des lois.
57. L'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, qui permet de punir comme complice d'un
crime - ou d'un délit - la personne qui aura publiquement provoqué à la commission de
celui-ci si la provocation a été suivie d'effet, permettait de réprimer ainsi la provocation
publique, suivie d'effet, à la commission d'un génocide. En revanche si l'article 24, alinéa 2,
incrimine la provocation publique directe non suivie d'effet aux atteintes volontaires à la vie,
aux atteintes volontaires à l'intégrité de la personne (intégrité physique ? psychique ?) et aux
agressions sexuelles du livre II du Code pénal (que celui-ci, d'ailleurs, range dans les atteintes
à l'intégrité physique), ces infractions n'épuisent pas tous les actes incriminés en tant qu'actes
constitutifs de génocide (C. pén., art. 211-1) - et, surtout, s'agissant d'infractions du Titre II
du Livre II du Code pénal, elles sont ainsi visées en tant qu'infractions de droit commun et
non pas en tant qu'actes constitutifs de génocide, lequel correspond à une qualification
autonome et dérogatoire au droit commun. Quant à l'apologie publique des crimes contre
l'humanité, incriminée à l'article 24, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881, elle ne consiste pas
en une provocation stricto sensu.
58. Cette distinction opérée par la loi du 29 juillet 1881 a été ouvertement prise comme
modèle de la nouvelle incrimination : Sénat, 14 mai 2008, rapport n° 326 fait au nom de la
commission des lois ; AN, 19 mai 2010, rapport n° 2517 fait au nom de la Commission des lois.

Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Jérôme Huet

Table des matières de la publication Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Jérôme Huet