Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Jérôme Huet - 415

VINCENT VARET

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au-delà des exploitations publiques qui lui sont bien sûr réservées, l'usage privé
de la création intellectuelle43, dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler un
contrat de licence.
En effet, quelles qu'en soient les raisons44, les prérogatives du droit d'auteur
afférent à un logiciel sont définies de telle façon en droit européen et donc en
droit français, qu'elles confèrent à leur titulaire un certain contrôle sur des actes
relevant de la sphère privée : ainsi l'utilisateur d'un logiciel ne peut effectuer de
copie privée de celui-ci (sauf le cas échéant une copie de sauvegarde) et ne peut
lui-même en corriger les erreurs.
Cette faculté d'intrusion dans la sphère privée reconnue au titulaire du droit
d'auteur afférent à un logiciel induit donc une restriction des prérogatives de
l'acquéreur de l'exemplaire dudit logiciel.
Cependant, la situation est, à nouveau, identique que cet exemplaire consiste
en un bien tangible ou intangible : la mise à disposition du logiciel par le truchement d'un support matériel (CD, DVD), pour peu que les stipulations contractuelles ne limitent pas l'usage du logiciel dans le temps, peut sans difficulté être
qualifiée de vente. Les limitations dans l'usage de son bien que subit l'acquéreur
du fait du droit d'auteur ne remettent pas cette qualification en cause. On observera, au passage, qu'il en est de même, a fortiori, lorsque le logiciel est préinstallé
sur un ordinateur : ce dernier et le logiciel intégré (le système d'exploitation par
exemple) forment un tout, et il ne fait pas de doute que l'acquisition de l'ensemble constitue une vente, nonobstant le contrat de licence afférent au logiciel
et les contraintes (justifiées ou non) qu'il induit ; et l'acquéreur pourra librement
revendre l'ordinateur incluant le logiciel.
Il n'est pas de raison qu'il en soit autrement lorsque l'exemplaire du logiciel est
un fichier intangible.
Néanmoins, il arrive, comme dans l'affaire Oracle, que le contrat de licence
afférent au logiciel, qui accompagne la remise de l'exemplaire, stipule que ce
contrat est incessible45. Cette incessibilité du contrat est de nature à limiter
indirectement le pouvoir du propriétaire de l'exemplaire de disposer de ce bien.
En effet, l'indissociabilité entre le logiciel et son support a pour conséquence
que la prohibition contractuelle de céder la licence afférente au logiciel empêche
de revendre le support de ce logiciel, fut-il tangible ou intangible.
On peut, sous cet angle, s'interroger sur la validité d'une telle stipulation
contractuelle : peut-elle valablement priver l'acquéreur de l'exemplaire d'un logiciel de disposer de celui-ci ? L'objectif est évidemment, en limitant la circulation
des licences, de conférer au titulaire des droits un plus grand contrôle sur celles-ci.
Mais le pouvoir que s'arroge ainsi ce dernier paraît excéder celui que lui confère
la loi : le droit d'auteur ne le justifie pas, qui admet au contraire, au moins lorsque
43. Sur cette faculté et sa critique, v. Lucas A. et H.-J., Lucas-Schoettler A., Traité
de la propriété littéraire et artistique, op. cit., n° 843 et 845.
44. Ces raisons mériteraient d'être discutées, mais ce serait l'objet d'une autre étude.
45. Oracle c. Usedsoft, CJUE, Gr. Ch., 3 juill. 2012, aff. C-128/11, et références citées
note 7.
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