Hors collection - Droit(s) et Street Art - 123

LINE TOUZEAU-MOUFLARD

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moral lui permettent pour l'essentiel de veiller au respect de son œuvre13.
Les droits d'ordre patrimonial lui permettent d'exploiter son œuvre sous
quelque forme que ce soit, d'en tirer un profit pécuniaire14 de manière exclusive. D'emblée, il importe de souligner que l'œuvre d'architecture n'est pas
une œuvre comme les autres, qu'elle n'est pas une œuvre protégée comme
les autres. Elle revêt deux spécificités : elle est (généralement) utile et utilisée
et (couramment) située dans l'espace public ; deux spécificités, plutôt deux
tares au regard de la protection accordée à l'auteur. Ces caractéristiques
emportent en effet des limitations dans l'exercice de son droit par l'architecte15. C'est dès lors à un droit d'auteur affaibli de l'architecte qu'il faut
confronter le droit du graffeur. Or la condition de ce dernier n'est pas nécessairement enviable. Un graff ne se voit pas automatiquement reconnaître la
qualité d'œuvre de l'esprit16. Plus encore, l'illicéité du graff est susceptible de
remettre en cause la protection au titre du droit d'auteur dont pourrait bénéficier le graffeur, notamment en empêchant sa revendication17. Et l'on sait
que l'illicéité est un moteur courant du graff18. L'analyse des rapports entre
l'architecte et le graffeur doit ainsi tenir compte de la position particulière
de l'architecte comme auteur et des positions diverses du graffeur : graffeur
non-auteur, graffeur auteur ne pouvant ou voulant se prévaloir de ses droits,
graffeur auteur d'une œuvre de street art protégée. De surcroît, cette analyse
ne pourrait être complète - ce à quoi elle ne prétend pas d'ailleurs19 - si
elle ignorait un troisième acteur, pourtant fondamental ici : le propriétaire
corporel, propriétaire de l'immeuble qui est à la fois le support20 de l'œuvre
de l'architecture et celui de l'œuvre de street art. Interlocuteur potentiel
(essentiel ?) de l'architecte, il est aussi l'interlocuteur éventuel du graffeur,
qu'il entretienne avec ce dernier des rapports conflictuels ou contractuels.
Dans ce cadre complexe, les questions suscitées par l'articulation
des droits de l'architecte et du graffeur sont nombreuses et portent sur
13. CPI, art. L. 121-1. Les droits moraux sont perpétuels ; leur protection est assurée par
l'auteur puis par ses ayants droit, voire par l'État.
14. CPI, art. L. 123-1. Les droits patrimoniaux sont protégés durant la vie de l'auteur puis,
au profit de ses ayants droit, jusqu'à 70 ans après sa mort.
15. Voir infra.
16. V. N. Blanc, supra, et G. Goffaux Callebaut, « Street Art - À la croisée des droits »,
Juris Art etc., n° 33, p. 35.
17. Id. V. aussi F. Doyez, « Créer dans la rue », Juris art etc. 2015, n° 22, p. 33.
18. C. Genin, Le street art au tournant. Reconnaissance d'un genre, op. cit., qui ajoute
p. 13 : « L'art urbain part d'une pratique élémentaire, ces graffitis de l'espace sauvage, niant
l'espace public par une posture de hors-la-loi, pour arriver à la légitimité des galeries ».
V. aussi A. Flandrin, « Vétérans du graff et toujours accros », Le Monde, 29 janv. 2016.
19. Comme pour l'architecte, le cas des œuvres de street art réalisées par plusieurs auteurs
n'est pas traité. Quant au propriétaire de l'immeuble support, il ne sera évoqué qu'à travers
ses liens à l'architecte (sur les rapports propriétaire-graffeur, v. not. J.-B. Seube, supra).
20. V. O. Pignatari, Le support en droit d'auteur, 2013, Larcier.
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