Hors collection - Droit(s) et Street Art - 20

12

LA JURIDICISATION DU STREET ART

Au-delà, le street art renoue avec le passé en accueillant des œuvres
collectives27. Le lettrisme constitue comme un retour de l'enluminure,
mais démocratisée (avec des ajouts complexes, au point de ne plus rendre
les mots intelligibles, du moins pour un néophyte). La découpe préalable
des pochoirs n'est pas sans rappeler le méticuleux travail des graveurs. Le
travail des street artistes évoque aussi celui des peintres du Moyen Âge qui
réalisaient a fresco28, des fresques longuement préparées. Le lien existe aussi,
sans doute, avec l'art brut, l'art populaire, voire les arts dits « premiers ».
On a également parlé de « nouvel expressionnisme »29. Les références à la
peinture académique (en général détournée) sont très fréquentes30 et, par
ailleurs, le street art emprunte à la culture des mods des années 1950, au pop
art31, au surréalisme (Umbrella girl de Banksy...), à l'art naïf, à la bande
dessinée (dans la veine d'un Lichtenstein), aux dessins animés japonais, au
psychédélisme, voire à l'art optique de Victor Vasarely32 ou au tachisme33.
Une autre tendance porte à l'hyperréalisme.

27. Certaines œuvres sont réalisées à plusieurs mais elles sont alors cosignées ; il est notable
que certaines œuvres collectives peuvent être réalisées par des membres de groupes (crews)
différents.
28. Car le support séchait rapidement.
29. V. R. Machart, « Basquiat, clochard et dandy céleste », Le Monde, 14-15 juill. 2016,
p. 20, à propos de la vidéo Jean-Michel Basquiat, The Radiant Child, de Tamra Davis.
30. V., p. ex., C. Guémy (dit « C215 »), op. cit., p. 60 et s. et p. 227, avec les références à
la peinture du Caravage.
31. Il est intéressant de relever que, lors d'une exposition à la fondation Louis Vuitton,
en janvier 2016, consacrée à une collection « Pop et musique » (avec, notamment, bien sûr,
des réalisations d'Andy Warhol), Jean-Michel Basquiat faisait partie des artistes dont les
œuvres étaient exposées ; il y a une certaine filiation avec le pop art ; les deux sont nés à
New York (v. K. Honnef, Pop art, U. Grosenick (ed.), 2004, Cologne, Taschen, p. 6) ;
Peter Phillips avait, avant les autres, utilisé la peinture au pistolet (v. K. Honnef, op. cit.,
p. 20) et Andy Warhol la sérigraphie ; le lien avec la publicité et l'idée de la détourner sont
communs ; il y a souvent, dans les deux, une appréhension au second degré ou des « lectures »
différentes (selon l'observateur) ; mais les artistes du Pop Art, « s'ils rompaient avec nombre
de vues acquises sur l'art, ils en réaffirmaient d'autres avec d'autant plus de fermeté, n'ayant
aucunement l'intention de s'aventurer en dehors du terrain, souvent évoqué, délimité par la
triade artiste, collectionneur et musée » (K. Honnef, op. cit., p. 7) ; c'était un art de professionnels chics et non un art que tout le monde peut pratiquer ; la plupart des « grands » du
street art sont d'origine modeste sans acquis culturels traditionnels, même si, aujourd'hui,
des artistes comme Invader ou Shepard Fairey ont suivi des cursus d'études artistiques
(J. Catz, op. cit., p. 190 et 206) ; de plus, le pop art est l'utilisation d'images populaires et
non la production d'images afin qu'elles deviennent populaires ; le street art relève, lui, à
l'origine, d'une véritable culture populaire.
32. Les œuvres réalisées, en 2016, sur un tronçon abandonné de l'autoroute A 86, en région
parisienne, sont topiques de cet héritage.
33. La « pixellisation » de certaines œuvres n'est pas, en effet, sans rappeler le travail des
tachistes.
Hors collection - Droit(s) et Street Art

Table des matières de la publication Hors collection - Droit(s) et Street Art
