Hors collection - Droit(s) et Street Art - 26

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LA JURIDICISATION DU STREET ART

On prétend parfois que le raisonnement humain obéit aux règles de
la mécanique quantique qui veut, notamment, qu'un objet se transforme
lorsqu'il est observé et qu'un objet peut avoir deux états différents en même
temps. Le street art peut être considéré, à cet égard, comme relevant de la
mécanique quantique : ses œuvres changent d'aspect selon l'observateur qui
les examine, elles restent elles-mêmes tout en ayant deux états apparemment
irréconciliables (celui d'une atteinte à des intérêts publics et privés qu'il faut
faire disparaître et celui d'une réalisation de valeur qu'il faut préserver).
Est-ce encore le cas lorsque l'observation est juridique ?
14. Le street art nous paraît un art ambivalent d'abord car il est, originellement, à la fois un art du peuple et pour le peuple, mais qui est resté
longtemps impopulaire.
C'est un art de rue, car c'est un art né de la rue et créé dans la rue. Au-delà
d'un art, il s'agit peut-être même d'un art de vivre (une culture ou une contreculture), avec ses codes vestimentaires73, son vocabulaire74, son langage
des graffiti réservé aux initiés, sa musique (hip hop, rap, break, djing)75...
Finalement, le street art correspond assez bien à ce que Rausschenberg
souhaitait : « il s'agit (...) de faire en sorte que l'art coïncide avec la vie, et
pas seulement avec les musées »76. Les artistes n'avaient pas à l'origine, à de
rares exceptions près, suivi de cursus d'études artistiques. On rejoint ici la
définition originelle du pop art, celle qu'en donnait Lawrence Alloway77.
Mais le fait que la plupart des premiers artistes concernés soient des autodidactes n'est probablement pas consubstantiel78. De plus, cela ne signifie
pas que cet art soit compréhensible par tous. Ce n'est pas, en général,
un art populaire au sens de réalisations simplistes destinées au peuple et
appréciées par lui.
L'adjectif de « populaire » est d'ailleurs parfois ressenti par les artistes
eux-mêmes comme ne pouvant être que péjoratif, et ils font remarquer que
l'artiste de rue, lui, a longtemps, au contraire, été impopulaire79.
73. Street wear, sweat shirt à capuche pour ne pas être identifié en présence de caméras
de surveillance...
74. Il est intéressant que les pseudonymes utilisés par les artistes soient appelés, en France
du moins, des « blazes », reprise d'un très vieux mot d'argot (« blase »), peut-être forgé, au
début du xxe siècle, par ironie, à partir du mot blason.
75. En ce sens, v. J. Catz, op. cit., p. 152 ; C. Naimi, collab. L. Gallet, État des lieux du
Graffiti et du Street Art, 2015, Carpentier, p. 9.
76. J. Michel, « Le monde illogique de Rausschenberg », Le Monde, 17 oct. 1968, cité par
J.-É. Muller, op. cit., p. 54.
77. V. J.-É. Muller, op. cit., p. 58.
78. Sauf à considérer que, même si l'artiste est diplômé des Beaux-Arts et s'il n'a jamais
travaillé que sur toile, sa venue à la rue doit être interprétée comme une manière de rejoindre
un autre courant artistique.
79. C. Guémy (dit « C215 »), op. cit., p. 116.
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