Hors collection - Droit(s) et Street Art - 84

76

LE STREET ART ET LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE

La notion très vague, c'est le moins qu'on puisse dire, de « destination à
l'utilité publique » fait que la majeure part des propriétés publiques bénéficient de ce fait de la protection pénale augmentée. On note enfin, troisième
spécificité pénale, que le maire peut, sur le fondement de l'article 44-1 du
Code de procédure pénale, enclencher un dispositif particulier de traitement de l'infraction chaque fois qu'est en cause une propriété communale.
En effet, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, il est
autorisé à proposer à l'individu ayant réalisé sur la propriété municipale un
graffiti relevant du domaine de la contravention, « une transaction consistant en la réparation de ce préjudice » ou, autre possibilité, en « l'exécution,
au profit de la commune, d'un travail non rémunéré pendant une durée
maximale de trente heures ». Ce dispositif de transaction à la disposition
des maires - qui doit être non seulement accepté par le contrevenant, mais
aussi homologué, selon les hypothèses, par le procureur de la République
ou par voie juridictionnelle - se veut précisément, depuis son introduction
par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, un outil
efficace de lutte contre les tags sur les propriétés municipales.
Il existe de multiples manières d'expliquer ce traitement pénal partiellement différent de la propriété publique : volonté de conférer une protection
accrue à des propriétés publiques qui, pour une large part, sont affectées
à une utilité collective ; constat empirique d'un « ciblage » particulier des
propriétés publiques par les graffeurs (wagons ferroviaires, ouvrages du
domaine routier, etc.). Probablement même cette protection augmentée
se veut elle la traduction pénale d'une conviction aujourd'hui encore
répandue : celle d'une « tragédie des communs », du nom de cette théorie
controversée proposée par l'écologue Garett Hardin5 au terme de laquelle
les choses laissées à l'usage de tous, à l'instar des propriétés publiques
placées dans l'espace public, sont condamnées à faire l'objet d'appropriations égoïstes - parmi lesquelles les graffitis - qui portent forcément
atteinte, à terme et si aucune contrainte juridique n'est établie, à la pérennité
de la ressource elle-même.
Il n'en demeure pas moins que cette particularité pénale de la propriété
publique ne doit pas être surestimée en matière de street art. Non seulement
parce que les développements qui précèdent montrent que cette particularité reste très limitée ; mais aussi parce qu'elle cohabite, dans tous les cas,
avec d'autres mécanismes aux effets tout à fait comparables si ce n'est qu'ils
se font, cette fois, au bénéfice de propriétés privées. Ainsi, par exemple, la
circonstance aggravante prévue à l'article 322-3 du Code pénal, précédemment évoqué, ne bénéficie pas, en réalité, aux seules propriétés publiques,
l'article en question renvoyant aussi à de nombreuses propriétés privées
5. G. Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science, 13 déc. 1968, n° 3859, p. 1243.
Hors collection - Droit(s) et Street Art

Table des matières de la publication Hors collection - Droit(s) et Street Art
