Hors collection - Droit(s) et Street Art - 94

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LE STREET ART ET LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE

manifestation en termes de police, et non en termes de propriété, c'est poser
l'exercice de cette liberté comme principe, et sa limitation comme l'exception. Il s'ensuit l'absence de toute responsabilité de l'autorité administrative
en dehors du problème du maintien de l'ordre. Ainsi, par exemple, il ne
viendrait évidemment à l'idée de personne de soutenir que les slogans
politiques scandés à l'occasion d'une manifestation portent atteinte à la
neutralité de la voirie publique de la personne publique propriétaire, pas
plus, de manière moins caricaturale, qu'il ne viendrait à l'idée de quelqu'un,
en France tout du moins, d'exiger une autorisation préalable de la personne
publique propriétaire pour chacun des slogans scandés. Seules des considérations d'ordre public peuvent interférer, et elles sont uniquement le fait
de la personne publique titulaire du pouvoir de police.
C'est donc une vraie contre-intuition que cet exemple rappelle : la
personne publique policière est beaucoup moins libre que la personne
publique propriétaire quant aux atteintes aux droits fondamentaux du
public qu'elle peut porter. C'est précisément, d'ailleurs, cette distinction
- si importante dans l'histoire du droit occidental - qui a ressurgi avec
vigueur à l'occasion des multiples rassemblements du mouvement « Nuit
Debout » sur la place de la République à Paris. Si, du fait de la durée de
l'occupation, certains, dont la maire de Paris, ont dénoncé une forme de
privatisation de l'espace, d'autres, à raison, ont rappelé qu'elle n'est jamais
que la marque de ce que la commune, pas plus que l'État, ne peut empêcher,
autrement que sur le fondement restrictif de considérations d'ordre public,
le libre usage des rues et places qui sont affectées à tous27. D'une certaine
façon, et pour achever notre raisonnement, on peut dire que les manifestants du printemps 2016 usèrent moins de la propriété de la commune
qu'ils n'exercèrent leur liberté d'user de l'espace public urbain comme ils
l'entendaient, et sous la seule réserve des considérations d'ordre public et
des lois pénales.
Qu'est-ce alors à dire, finalement ? Qu'il est possible de penser une
liberté du street art sur le domaine public à l'instar de la liberté de manifester ? On voit bien, évidemment, ce que ce parallèle peut avoir d'artificiel :
la liberté de manifestation dévoile une utilisation collective et éphémère (le
temps du passage de la manifestation) quand le street art prend la forme
d'une utilisation le plus souvent individuelle et durable. Il n'en demeure
pas moins que ce parallèle présente l'insigne vertu de rappeler qu'il n'est
pas si évident de considérer les termes du débat comme fermés, et de tenir
pour indiscutablement acquis le fait que les contraintes que l'État ou la
commune fait peser sur l'intervention d'un artiste sur son domaine public
procèdent de son droit de propriété, et non de ses prérogatives de police.
27. En ce sens, v. S. Deliancourt, « Agora(phonie) », AJDA 2016, p. 1033.
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