Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 145

PATRICE ROLLAND

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français une trace de la législation sur le blasphème avec le maintien dans le
droit local d'Alsace-Moselle des articles 166 et 167 du Code pénal allemand
de 18715. Le premier qui sanctionne le blasphème n'ayant pas été traduit
en français n'a jamais servi de fondement à des poursuites depuis 1918. Le
second, traduit en français, protège l'exercice du culte contre les troubles
avec des sanctions plus lourdes qu'en « France de l'intérieur ». La désuétude
n'existant pas en droit écrit, l'abrogation de l'article 166 est nécessaire et a
été demandée par les représentants des cultes reconnus d'Alsace-Moselle le
6 janvier 2015. Cette désuétude ou quasi-désuétude avait été observée dans
d'autres pays européens6. Le débat international sur la diffamation religieuse
dans les années 2006-2007 aux Nations unies confirma et accéléra l'évolution des démocraties occidentales sur le sujet. À la suite des événements du
11 septembre 2001, un certain nombre d'États musulmans soucieux de lutter
contre l'islamophobie contestaient « une liberté d'expression débridée » et,
plutôt que d'employer la vieille expression de blasphème, dénoncèrent une
« diffamation des religions », terminologie qui, au premier abord, se coulait
assez bien dans les catégories traditionnelles de la liberté de la presse. Aux
États qui, comme l'Iran, demandaient « de lutter contre la diffamation des
religions et d'assurer le respect des religions et des croyances », d'autres,
comme le Canada, indiquaient préférer la garantie des droits des croyants
plutôt que la protection des religions elles-mêmes. En 2009, le Conseil des
droits de l'homme adoptait une résolution intitulée « la lutte contre la diffamation des religions » contre l'avis des États occidentaux qui considéraient
la liberté d'expression menacée. En 2009, à la conférence de Durban, les
États occidentaux réussirent à éviter l'emploi de l'expression diffamation
des religions et le document final se concentra sur les incitations à la haine
notamment religieuse et à la discrimination7. Le Conseil de l'Europe s'est
saisi dans ce même contexte international de la question du blasphème pour
prendre une position très claire. La recommandation adoptée en 2008 dégage
trois grands principes : il ne devrait plus y avoir de sanction pénale du blasphème en tant qu'insulte à la religion et le droit interne des religions ne
doit pas obtenir le secours du bras séculier pour assurer l'effectivité de
ses propres sanctions. Le second principe reconnaît aux États une marge
nationale d'appréciation pour réglementer la protection des convictions
religieuses contre les médias en fonction de l'histoire et de la tradition de
5. Voir sur ce sujet l'Avis de l'Observatoire de la laïcité sur le régime local des cultes en
Alsace et en Moselle, 12 mai 2015, p. 14.
6. La Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Wingrove (22 octobre 1996,
§ 27) avait relevé que l'affaire Gay News (1979) était, en Angleterre, la première affaire de
blasphème depuis 1922.
7. Sur ce long débat voir Traité français de droit des religions, 2e éd., Lexis Nexis, 2013,
§ 1305.

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