Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 26

ANALYSE DES DÉBATS PARLEMENTAIRES

homme de paille. Députés et sénateurs s'accordent donc sur l'idée qu'il
faut à tout prix identifier un responsable. À leurs yeux, trois personnes
se partagent principalement la responsabilité : l'écrivain, l'imprimeur et le
publicateur, qu'il s'appelle gérant ou éditeur. Si la responsabilité morale
retombe sur l'écrivain, du point de vue du droit, c'est la publication qui
fait l'infraction, et donc le publicateur, c'est-à-dire le gérant, devient l'auteur principal du délit, l'écrivain étant considéré comme son complice.
Ces deux personnes seulement devront être poursuivies. Quant aux
vendeurs, colporteurs, distributeurs et afficheurs, s'ils propagent le délit,
ils ne concourent pas à sa perpétration. Des obstacles peuvent néanmoins
contrecarrer ce raisonnement logique et simple, permettant à certaines
personnes d'échapper à la justice, soit parce qu'elles sont inconnues, soit
parce qu'elles résident à l'étranger. Ce constat du législateur aboutit à envisager une chaîne de responsabilités dénommée par la suite « responsabilité
en cascade », permettant d'identifier plus aisément ceux contre lesquels
doivent être engagées les poursuites. Sont ainsi précisées les personnes qui
peuvent être poursuivies comme auteurs principaux des crimes ou délits
commis par la voie de la presse et fixé l'ordre d'après lequel elles pourront
être recherchées de façon à faciliter la poursuite par les victimes.
Qui poursuivra-t-on ? Selon l'article 42 de la loi, à défaut des gérants
ou éditeurs, les auteurs ; à défaut des auteurs, les imprimeurs ; et si l'on
ne trouve ni gérant, ni auteur, ni imprimeur, la justice ou les personnes
lésées s'adresseront, suivant les cas, ou au vendeur, ou au distributeur,
ou à l'afficheur. En outre, lorsque les gérants ou les éditeurs seront en
cause, les auteurs seront poursuivis comme complices (art. 43). Grâce à ces
dispositions, il n'y aura guère de délit qui puisse échapper à la répression.
Ces articles ont été votés sans débats par les deux Chambres et figurent
encore dans la loi actuelle où le « Directeur de publication » se substitue au
« Gérant ». Et pourtant, en toute logique, le législateur aurait pu imaginer
que l'auteur soit le véritable responsable de l'écrit, le gérant ou l'éditeur
n'étant que les instruments de la publication, à ce titre considérés comme
complices de l'auteur.

C. La détermination des juridictions :
le « JURY » ou la Cour d'Assises
Selon Eugène Pelletan, rapporteur de la commission au Sénat : « Il était
temps enfin de reconnaître qu'en fait d'opinions particulières il n'y a qu'un
tribunal possible, le bon sens public ; c'est devant lui que toutes viennent
comparaître, que toutes viennent plaider, parce que tous reconnaissent qu'il
a seule compétence en pareille matière. Et pourquoi donc a-t-on confié

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