Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 34

LA PROBLÉMATIQUE DE L'INSERTION DES INFRACTIONS

rence, les juges protégeaient des individus confrontés contre leur gré à une
expression. On ne saurait oublier que la liberté d'expression est, certes,
d'abord la liberté de celui qui s'exprime, mais qu'elle doit, dans une perspective libérale, respecter la liberté des receveurs.
La fermeture de la voie civile, en 2000, est donc tout à fait surprenante.
La Cour a estimé qu'il convenait de réserver à la seule voie pénale, voulue
par le législateur, la sanction des abus de la liberté d'expression8. Sans
doute peut-on appréhender cette affirmation de façon libérale : tout ce qui
n'est pas interdit par la loi pénale relève de la liberté de chacun. Elle fait,
cependant, peu de cas des autres intérêts concernés. Il en résulte, en effet,
directement, que certaines victimes ne disposent plus d'aucun recours qu'il
s'agisse de celles qui sont atteintes dans leurs convictions ou leur sensibilité par des messages qui leur sont imposés ou celles qui doivent assister
impuissantes au dénigrement d'un de leurs proches, parent ou ami, décédé9.
Dans les sociétés libérales contemporaines, marquées par la diversité sous
toutes ses formes, il peut s'avérer très dangereux de ne pas offrir le droit
d'accéder au juge afin que ce dernier puisse impartialement et équitablement constater un abus au terme d'un échange et d'un examen objectif de la
situation. Dès lors que le juge sait agir avec modération, respecter la liberté,
ne prendre que les mesures strictement adaptées et réparer symboliquement
les dommages subis, on ne voit guère quels inconvénients peut avoir son
d'un pubis marqués des mots « HIV » sans autre explication. Après avoir reconnu la liberté
des auteurs du message publicitaire, la Cour d'appel de Paris ajoute « qu'en imposant au
regard, en des lieux de passage public forcé ou dans certains organes de presse, l'image
fractionnée et tatouée du corps humain, les sociétés appelées ont utilisé une symbolique de
stigmatisation dégradante pour la dignité des personnes atteintes de manière implacable en
leur chair et en leur être, de nature à provoquer à leur détriment un phénomène de rejet ou
de l'accentuer... elles ont de la sorte abusé de leur liberté d'expression » (CA Paris, 1re ch.
Section A, 28 mai 1996, Soc. Benetton, D. 1996. J. 617, note EdeLman B.).
8. Cass. ass. plén., 12 juillet 2000, LPA n° 161 du 14 août 2000, note Derieux E. : « La
mémoire des morts ne fait l'objet d'aucune protection », Cass. civ. 2e, 9 octobre 2003, LPA
n° 17 du 23 janvier 2004, note Derieux E. La Cour de cassation se contente d'affirmer « que
les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent
être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ». Cf., également : Cass. civ. 2e,
8 mars 2001 (2 arrêts), LPA 18 mars 2001, n° 99 p. 21 et s., note Derieux E.
9. La fermeture de la voie civile à laquelle a procédé la Cour de cassation (note précédente) laisse sans protection la « mémoire des morts » puisque l'article 34 de la loi du
29 juillet 1881 exclut la voie pénale : « les articles 31, 32 et 33 ne seront applicables aux
diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts que dans le cas où les auteurs
de ces diffamations ou injures auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à
la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants ». Tout au plus, ces
derniers pourront-ils user du droit de réponse prévu par l'article 13. Lorsque dans ses arrêts
du 12 juillet 2000, la Cour explique que les propos litigieux portant atteinte à la mémoire
des morts ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil parce
qu'ils relèvent de l'article 34 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 qui ne peut pas s'appliquer, on
peut comprendre l'insatisfaction des requérants.

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