Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 56

L'INFLUENCE DE LA JURISPRUDENCE

société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et
de l'épanouissement de chacun ». De la même façon, elle n'est pas absolue.
L'article 10, § 2 de la Convention institutionnalise ses limites. Son importance justifie cependant la mise en œuvre d'un contrôle sévère tant sur le
principe même de la sanction, que sur sa nature et son montant. L'excès
réalise à lui seul une violation de la liberté d'expression alors même que son
exercice a été indiscutablement préjudiciable pour autrui ou pour l'intérêt
public. La Cour souhaite éviter qu'une condamnation crée un précédent
et emporte un effet dissuasif sur l'usage de la liberté d'expression. Entre
ces deux maux, le pire est celui qui conduirait à aseptiser le débat public
ou à le réduire aux idées convenues. Elle manifeste ainsi régulièrement une
franche hostilité à l'égard de l'arme pénale et invite à la modération dans
l'application des sanctions civiles3. Les jugements de valeur relèvent de la
liberté d'opinion et sont en conséquence à l'abri de toute sanction pourvu
qu'ils reposent sur une base factuelle suffisante. L'expression de la vérité,
dont la démonstration devrait être toujours possible, est incompatible avec
une responsabilité de même que l'expression d'un discours politique ou
d'une contribution à un débat d'intérêt général.
Si la loi du 29 juillet 1881 et le droit européen des droits de l'homme
procèdent d'une commune inspiration, leur définition de l'équilibre entre la
liberté et l'abus de même que le choix des moyens pour y parvenir semblent
diverger. La loi du 29 juillet 1881 est une loi pénale spéciale énonçant des
infractions qui, pour certaines d'entre elles, exposent leur auteur à une peine
de prison4. L'exception de vérité manque encore de généralité puisqu'elle
n'absout pas la diffamation lorsque l'imputation concerne la vie privée
d'une personne. Quelle valeur ces options possèdent-elles au regard de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ? La dépénalisation n'est-elle pas la seule issue5 ? L'abandon des excès de la liberté
d'expression au droit commun de la responsabilité civile ne s'impose-t-elle
pas, une clause générale ne satisfaisant pas moins qu'une liste de délits
3. Dans son récent arrêt Reichman contre France (CEDH, 12 juillet 2016, n° 50147/11),
la Cour rappelle que le prononcé même d'une condamnation pénale est l'une des formes
les plus graves d'ingérence dans le droit à la liberté d'expression, eu égard à l'existence
d'autres moyens d'intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles.
Une nouvelle fois, elle invite les autorités internes à faire preuve de retenue dans l'usage
de la voie pénale (§ 73).
4. Malgré l'adoucissement des peines entrepris en 2000 (art. 90 de la loi n° 2000-516
du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes), l'emprisonnement subsiste pour les provocations de l'article 24, la contestation
de l'article 24 bis, la diffamation et l'injure raciales des articles 32 et 33 ainsi que l'annonce
publique d'une souscription pour indemniser les amendes et les dommages intérêts prononcées par des condamnations judiciaires en matière criminelle et correctionnelle (art. 40).
5. En ce sens, la Résolution n° 1577 (2007) du 4 octobre 2007 de l'Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe à l'intitulé explicite, « Vers une dépénalisation de la diffamation ».

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