Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 87

JACQUES FRANCILLON

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motifs que ces propos sont l'expression d'une opinion et qu'ils laissent
place au débat démocratique (ce qui est tout le contraire en présence d'un
discours de type raciste, notamment). Il est vrai que le doute peut naître
aussi dans l'esprit des juges lorsqu'il leur apparaît qu'au-delà des mots
employés dans le discours - des mots d'une violence parfois extrême - se
cachent des motivations moins viles que la haine et qui sont de nature - à
tort ou à raison - à justifier une relaxe, motif étant pris du respect de la
liberté d'expression, de la liberté d'opinion24, voire de la liberté de création
artistique, ne serait-ce que par crainte de la censure comme dans l'affaire
Orelsan (ce rappeur était l'auteur de paroles gravement attentatoires
à la dignité des femmes)25 ou d'un retour subreptice du délit d'opinion
comme dans la dernière affaire Zemmour26. En pareil cas, et de manière
plus générale, le juge tire de son analyse du sens et de la portée du discours
la conclusion que celui-ci « n'excède pas les limites admissibles de la liberté
d'expression ». Or c'est précisément sur ce dernier point qu'il est nécessaire
d'approfondir la réflexion.
2. La formule jurisprudentielle selon laquelle les limites admissibles de la
liberté d'expression ont été dépassées, ou au contraire ne l'ont pas été, est
passe-partout. On la trouve reproduite dans de très nombreuses décisions27.
Elle révèle que la loi laisse beaucoup de liberté aux juges. Son « ambiguïté »
a été parfois soulignée en doctrine, notamment à propos de la marge de
tolérance dont bénéficient certains élus en cas de polémique politique28.
Ainsi le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) concernant la France, publié en mars 2016, dénonce-t-il une
« banalisation » des discours racistes tenus par des responsables politiques
dans l'espace public29. De manière plus générale, la casuistique résultant
de la jurisprudence, tant française qu'européenne, est une source d'insécurité juridique. L'observation en a d'ailleurs été faite récemment par un
auteur sur un mode ironique. Selon lui, ce sont « les limites admissibles
24. V. très explicite en ce sens : Cass. crim., 12 avril 2016, n° 15-81.327, selon lequel « les
propos poursuivis ne constituent que l'expression d'une opinion relevant de la liberté
d'expression ».
25. CA Versailles, 17 février 2016, Légipresse 2016, n° 336. V. pour une approbation très
argumentée de la solution retenue par cet arrêt : Droin N., « Le juge et le rap », RDP 2016.
1377 s., spéc. p. 1383 à 1387, et les références jurisprudentielles et doctrinales.
26. TGI Paris, 17e ch. corr., 17 décembre 2015, Légipresse 2016, n° 335, infirmé par CA
Paris, 22 juin 2016, Légipresse 2016, n° 341. Rappr. : TGI Paris, 17e ch. corr., 18 février 2011,
RSC 2011.135, nos obs.
27. V. en dernier lieu Cass. ass. plén., 16 décembre 2016, n° 08-86.295, pour les propos
d'un avocat mettant en cause deux juges d'instruction en charge de l'information judiciaire
ouverte à la suite de la mort d'un magistrat.
28. Lepage A, note ss. Cass. crim., 9 décembre 2014, CCE 2015, comm. 14.
29. Rapport publié sur www.coe.int/ecri, § 22, p. 18.
http://www.coe.int/ecri
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