Droit et Société - L'État du droit administratif - 2e - 256

L'ETAT DU DROIT ADMINISTRATIF

sif, pour penser le droit administratif, de catégories juridiques construites depuis le contentieux 1. L'occasion est ici donnée de le vérifier : malgré sa richesse, le matériau que composent les modes de règlement non juridictionnel
des conflits internes à l'administration continue d'échapper largement au regard
du juriste, tant ce dernier reste fasciné par les jeux savants du contentieux. C'est
de cette perte de sens qu'il va être question. Pour en prendre la mesure, une
démarche en deux temps sera bienvenue : pour qu'il y ait matière à interrogation sur l'économie des conflits d'intérêts publics 2, encore faut-il s'assurer
qu'il s'agit bien là d'un objet juridique.
§ 1. - Un objet juridique indéterminé
Les modes de règlement non contentieux des conflits internes à
l'administration constituent-ils un objet juridique à part entière ? La solution de
ce problème n'est pas donnée par avance. Deux façons de raisonner, fortement
contrastées, sont ici également concevables.
On peut ainsi faire usage de cette idée, jadis développée par M. Waline, que
le droit administratif est en tant que tel une sorte de grand « échangeur ». Entendez par là un système de distribution des rôles et des compétences entre des
institutions dont l'ensemble constitue ce qu'en droit il est convenu d'appeler
une administration. Dans cette perspective notre thème tend à se confondre
avec le tout du droit administratif. Il suffit d'en exclure ce qui se traite devant
les juges. Encore conviendrait-il de le faire avec vigilance, car le juge peut fort
bien intervenir indirectement, et sans même le savoir, dans le règlement non
contentieux de désaccords internes à l'administration ! Tel est le cas lorsque le
préfet se sert du déféré devant le tribunal administratif pour obtenir la modification ou le retrait d'un acte d'une autorité décentralisée dont il assure le contrôle
de légalité 3. Reste que le sujet ne peut logiquement se construire qu'en dehors
de la jurisprudence, sauf à réserver à celle-ci un traitement de science administrative. Elle n'est plus alors une pure activité de juris-dictio, le droit dit et formalisé par un juge pour mettre fin ponctuellement à un conflit, mais un discours agissant qui se fait entendre d'administrations l'intégrant dans leurs comportements à titre de ressources ou de contraintes. Traduite en circulaires ministérielles, la jurisprudence dite du « bilan coût-avantages » est un bon exemple
de pareils passages : stylisation juridique d'une méthode éprouvée de décision
publique, dans le cadre de la R.C.B. notamment, cette forme de contrôle juridictionnel sert aux administrations d'outillage intellectuel pour « déminer » des
terrains conflictuels 4.
1.
2.
3.
4.

Ce fut le cas de J.-J. BIENVENU dans ses Remarques sur quelques tendances de la doctrine
contemporaine de droit public, Droits, n° 1/1985, p. 153.
J'emprunte cette notion à J.-D. DREYFUS, Le conflit d'intérêts en droit public. Aspects non
contentieux, Petites Affiches, 17 juin 2002, p. 5.
V. supra, le chapitre 6.
Sur cette exploitation administrative de la jurisprudence du bilan, v. ma thèse, précitée,
L'intérêt général, la Croissance et les avatars du droit administratif des biens.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 56, 2e éd., 2017

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