Droit et Société - L'État du droit administratif - 2e - 41

PROBLEMATIQUE GENERALE : DE QUEL ÉTAT LE DROIT ADMINISTRATIF NOUS ENTRETIENT-IL ?

fondi et plus large du pouvoir administratif, le juge s'emploie à réduire au bénéfice de l'administration le champ du politique. Il y parvient en rectifiant le
contenu de certaines notions dont l'usage commande la topographie imaginaire
évoquée précédemment. C'est le cas, par exemple, des notions d'acte de gouvernement déjà évoqué 42, de mesure d'ordre intérieur 43 ou encore d'acte parlementaire 44, soumises à un sérieux travail de réduction qui va ouvrir des
formes de contrôle juridictionnel qu'empêchait jusqu'alors une perception
beaucoup plus généreuse du politique. On l'aura compris, pour parvenir à de
pareilles rectifications de la frontière séparant l'administration du politique le
juge est conduit à revenir sur sa propre jurisprudence, et il ne peut le faire qu'au
prix d'une argumentation l'obligeant à sortir de sa neutralité. Les conclusions
des commissaires du gouvernement ou rapporteurs publics disent, s'il en était
besoin, que l'autorité qui est en charge de fixer les frontières dont il est ici
question est, par la force des choses, détenteur d'une véritable compétence politique. Même si le juge est investi du pouvoir de faire croire à sa propre neutralité.
§2. - L'État du droit administratif : figures émergentes de l'État
moderniste
Aussi réelle soit-elle, la force persistante des invariants ne doit surtout pas
faire écran aux « transformations silencieuses » 45 que les politiques de modernisation ont, c'est selon, provoquées ou révélées. Ces changements-là, le droit
administratif les garde en mémoire et permet d'en suivre la trace. On ne s'en
étonnera pas : il est lui-même directement impliqué dans ces transformations :
elles le traversent en même temps qu'il les porte.
Avec les trente dernières années 46, on a vu s'installer et s'imposer de nouveaux découpages juridiques de la réalité, celle de l'action publique dans son
acception la plus large. Des manières inédites de représenter cette réalité dans
le droit sont apparues. Ces déplacements de la raison juridique sont plus particulièrement visibles sur trois terrains, il faudrait dire sur trois scènes, tant ils
sont indissociables des opérations de mise en scène destinées à les montrer à
42.

43.

44.

45.
46.

La littérature sur le sujet est abondante. Parmi les études récentes, v. F. MELLERAY, « En a-ton fini avec la " théorie " des actes de gouvernement ?, » in Mélanges en l'honneur de Louis
Favoreu, Dalloz, Paris, 2007, p. 1317-1328.
En « manoeuvrant » cette notion, le juge parvient à investir des espaces administratifs fort
sensibles. V. sur le cas du service public pénitentiaire, P.-L. FRIER et J. PETIT, Droit administratif, Monchrestien, Paris, éd. 2012, §. 508 et s.
Sur les raisons ayant conduit le juge à reprendre sa jurisprudence sur la question, v. les conclusions de C. BERGEAL sur CE, Ass., 5 mars 1999 Président de l'Assemblée nationale,
RFDA, 1999, p. 333. V. aussi R. DENOIX DE SAINT Marc, « Le Conseil d'État et les "actes
parlementaires " », dans Mélanges en l'honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, Paris, 2007,
p. 273-280.
V. sur cette notion le livre déjà cité de F. JULLIEN.
Sur l'importance politique des changements intervenus à partir des années 1980, v. la réflexion de P. ROSANVALLON sur les composantes nouvelles de la légitimité démocratique, La
légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, Paris, 2008.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 56, 2e éd., 2017
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