Cours - Droit des biens - 1re - 298

DROIT DES BIENS

Mais la nuisance subie devant ne pas être excessive, tous les dommages ne vont pas être
pris en considération312 : il est des gênes « ordinaires » entre voisins, spécialement en zone
industrielle ou commerciale, rurale ou urbaine. Si une personne peut légitimement
rechercher la protection de son environnement afin d'en assurer le maintien et le
respect, elle ne saurait se voir reconnaître un droit acquis pour imposer que son cadre
de vie soit maintenu dans son intégrité de façon immuable313. De façon comparable, la
perception des « manifestations olfactives ou auditives de la présence d'animaux domestiques » est naturelle à la campagne314. Cela étant, « même en milieu campagnard », les
nuisances excessives qui ne seraient pas en rapport avec une « activité agricole normale »
ne sont pas admissibles315.
L'anormalité du trouble de voisinage est une transposition juridique d'un principe de
compréhension mutuelle, légitimement attendue de la part de personnes vivant en
société316. Le trouble devient anormal lorsqu'il « excède le seuil de tolérance »317 qui, une
fois encore, doit s'apprécier de manière objective : la mesure de l'excès réside dans la
durée, la répétition ou l'intensité de la nuisance causée, car ce sont ces caractères qui
la rendent de nature à nuire à la tranquillité, voire à la santé des voisins. Il faut ici préciser
que si le tapage nocturne fait l'objet d'une répression pénale318, les nuisances sonores
sont susceptibles d'être sanctionnées sur le terrain du trouble de voisinage à toute
heure. En effet, aucun texte ne vient fixer une limite horaire, croyance populaire erronée,
qui concrétiserait un droit de faire du bruit avant que ne raisonnent les dix coups de
22 heures. Bien au contraire, les dispositions du Code de la santé envisagent tous les
bruits de voisinage indépendamment de leur heure de commission319.
Trouble de voisinage et incertitude scientifique. Un trouble de voisinage peut-il être
tenu pour anormal et donc, utilement invoqué en présence d'une telle incertitude320 ? La
question touche au principe de précaution en général, et à l'installation de relais de téléphonie mobile en particulier321. La difficulté est que le trouble n'est ni réel ni certain,
puisque l'on ne sait pas, au moment de l'analyse, s'il existe ou non un risque. S'ajoute un
constat pratique : les opérateurs savent être suffisamment prudents pour négocier avec
les intéressés, copropriétaires spécialement, les conditions de l'installation de ce type
d'équipement. La première décision judiciaire en la matière a été rendue par le tribunal de
grande instance de Grasse le 17 juin 2003322 ; depuis, plusieurs décisions ont ordonné le
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312. V. Cass. civ., 27 nov. 1844, préc.
313. TGI Paris, 26 juin 1991, Jurisdata nº 048957 : l'occupant d'un appartement situé à 56 mètres de la façade du restaurant
construit sur la terrasse d'une salle de spectacles, théâtre des Champs-Élysées, ne subit pas un trouble excessif.
314. CA Bourges, 17 mars 1997, Jurisdata nº 040344 : l'arrêt vérifie l'utilisation effective par le plaignant, absente en l'espèce, du
puits qui est l'objet d'une pollution par épandages de lisier effectués par l'éleveur voisin et relève la préexistence de l'exercice
de l'activité agricole à celle de l'installation du voisin.
315. CA Toulouse, 24 juin 1996, Jurisdata nº 042047 ; TGI Clermont-Ferrand, 25 janv. 1995, Jurisdata nº 047205 : poulailler installé
à 1 mètre de la fenêtre voisine, et de nature à polluer les ressources en eau du hameau.
316. M. BOUTELET-BLOCAILLE, « La poule, le juge et les bruits de voisinage », LPA 8 janv. 1996, p. 16.
317. L. CADIET, note sous TGI Saint-Nazaire, 29 mars 1982, Rev. jur. Ouest 1983-1, p. 45.
318. Art. R. 623-2 C. pén.
319. V. art. R. 1336-6 et s. CSP.
320. Pour un captage d'eau de source, où la question ne s'est pas en réalité posées puisqu'il avait été démontré l'absence de
risque : Cass. 3e civ., 3 mars 2010, Bull. civ. III, nº 53.
321. Les antennes-relais (dir. A. Dumery), L'Harmattan, coll. « Droit, Société et Risque », 2013.
322. Resp. civ. et assur., nov. 2003, p. 6, note S. KOWOUVIH (déplacement de l'antenne).

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