Cours - Droit des biens - 1re - 313

Les concepts de possession et de propriété

loue »413. La propriété est individuellement considérée le temps de la vie de l'intéressé414. Le
regard est alors porté sur l'être et non sur sa descendance : « la terre vous servira de
demeure et d'usufruit temporaire »415. Cette vision de l'humain usufruitier de la terre
semble être donnée universelle. Aux Amériques, des tribus indiennes s'étonnaient des affirmations de propriété de l'homme blanc en observant que les rochers étaient là depuis bien
plus longtemps qu'eux et le seront encore après leur disparition. En Afrique, au Ghana, la
terre est la propriété des ancêtres et la communauté des vivants n'exerce sur elle qu'un
droit d'usufruit, soit collectif, soit individuel lié alors à la mise en valeur de la terre et
donnant droit à transmission, voire cession416. Et la terre, souvent reconnue comme divinité,
est fréquemment tenue pour propriétaire des hommes et non l'inverse. La vie est passage,
la propriété rébellion ou transposition juridique d'un rêve d'immortalité face à la réalité de
la mort. Ce mouvement de restitution des fonds de terre à la Divinité a une portée éminemment sociale417 : il en résulte que tous les êtres humains sont dans une même situation. Il
n'est aucun titre définitif sur le sol, seul l'usufruit de la terre.
485 Approche temporelle. À cette vision spirituelle se confronte l'important souhait qui
habite tout homme, de transmettre ses biens à sa descendance. C'est pourquoi en droit
civil, le droit de propriété non seulement ne s'éteint pas avec le décès de son titulaire,
mais encore dure autant que son objet418. L'expression ne signifie pas que l'on emporte
ses valises dans la tombe... mais que le droit de propriété passe de main en main et spécialement dans celle des héritiers. D'où l'expression de droit héréditaire. La loi donne ainsi « à
des actes qui semblent des volontés d'un moment une existence durable et perpétuelle »419.
C'est la stabilité de la structure sociale qui est alors à l'œuvre.

486 Réalité d'un droit imprescriptible. Dans cette idée de durée, la propriété est un droit
imprescriptible. La conséquence est que, contrairement à la règle générale, ce droit ne
s'éteint pas par le non-usage420. En effet, en principe, un droit est fait « pour vivre, pour
être réalisé », non pour reposer421. Aussi et indépendamment du motif qui pourrait expliquer

413. Lv, 26, 23.
414. D'où certains mécanismes visant à une restitution après la mort. Ainsi, et par exemple en 1949, le nouveau Code civil
égyptien a contribué à limiter une institution ancienne, les biens waqf, mais qui subsistent lorsque les biens sont affectés à une
œuvre pie : les biens waqf étaient avant une loi de 1952, affectés soit à une œuvre commandée par un acte de piété, soit à la
descendance du constituant. Dès cet instant, il était considéré que ces biens devenaient propriété d'Allah et par ce fait, inaliénables à perpétuité. L'institution a été partiellement abrogée en 1952, qui l'a laissée subsister dans la première occurrence.
415. Le Coran, sourate II, 34.
416. P. ALEXANDRE, « L'Ouest naguère britannique », in Ethnologie régionale, I. Afrique, Océanie, Gallimard, La Pléiade, 1972, p. 474.
417. P.-J. PROUDHON, Théorie de la propriété, Paris, Libr. internationale, 1866, p. 224.
418. La destruction du bien emporte la propriété, sous réserve du mécanisme de la subrogation réelle.
419. BOISGELIN, « Discours sur les biens du clergé », in Orateurs de la Révolution française, I, op. cit., p. 153.
420. Par ex. Cass. 3e civ., 9 juill. 1970, JCP 1971. II. 16579, note G. GOUBEAUX.
421. J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, Quadrige, vol. 1, 2004, nº 171. D'où le mécanisme de la prescription extinctive. Il
faut se souvenir de ces mots du tribun Goupil-Prefeln, quand il déclarait devant le Corps législatif : « La prescription est donc
une de ces institutions bienfaisantes et salutaires, sur lesquelles repose la tranquillité de tous et de chacun, celle des familles
et de l'ordre social ; elle doit être consacrée par la législation de tous les peuples policés et qui reconnaissent le droit de
propriété » (Fenet, t. XV, p. 604 ; A. CABANIS, « L'utilisation du temps par les rédacteurs du Code civil », in Mél. P. Hébraud, 1981,
p. 171). Et de fait, tous les systèmes juridiques tiennent compte de l'influence du temps sur les activités humaines (en matière
d'immeuble, v. J. GENOVESE, L'influence du temps sur le droit immobilier, th. Nice, 2016) ; et si les délais et les modalités changent,
le fond reste identique. Ce mécanisme n'est rien d'autre que la transposition du bon sens citoyen dans les institutions juridiques : les exigences de la preuve du droit dont la démonstration se fait plus délicate au fur et à mesure que le temps passe,
alliées à celles de la prévisibilité de la norme (H. BATIFFOL, La philosophie du droit, PUF, Que sais-je ?, 11e éd. 2000), déduisent de

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