Bibliothèque de droit privé - Tome 579 - Le pouvoir normatif de la Cour de cassation à l'heure actuelle - 23

INTRODUCTION

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légale applicable »58. Mais ce n'est pas le cas du système français. Les principes
fondateurs de notre système juridique, non seulement n'autorisent pas le juge à
créer du droit, mais ils le lui interdisent expressément59. Le principe de séparation
des pouvoirs réserve au législateur, seul pourvu d'une légitimité démocratique, le
privilège de produire les lois60. Le principe de prohibition des arrêts de règlement
empêche le juge de créer une règle à vocation générale61 et le principe d'autorité
relative de la chose jugée confirme la faible portée de la décision de justice62. La
Constitution du 4  octobre 1958 présente la jurisprudence comme une simple
« autorité »63, tandis que le Code de procédure civile limite l'office du juge au fait
de « tranche[r] le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables »64. Ajoutons qu'il existe en France une méfiance historique à l'égard des
tribunaux, les révolutionnaires ayant voulu mettre un terme aux excès des Parlements d'Ancien régime65, au point d'instaurer le système de référé législatif précédemment évoqué66. Des formules célèbres sont encore présentes à tous les esprits
- l'adage « Que Dieu nous délivre de l'équité des Parlements ! », le mot de Le
Chapelier décrivant la jurisprudence comme « la plus détestable des institutions »,
ou la proposition de Robespierre, de supprimer définitivement le mot de jurisprudence du vocabulaire français67. Derrière les textes, c'est donc toute l'histoire et la
58. Le Code civil suisse fut le premier à reconnaître officiellement, en 1907, à la jurisprudence le
statut de source « subsidiaire » de droit (art. 1er, al. 2 C. civ. suisse : « À défaut d'une disposition légale
applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut de coutume, selon les règles qu'il établirait
s'il avait à faire acte de législateur ») (sur la particularité du système suisse, v. J.-F. GERKENS, Droit
privé comparé, op. cit., p. 156).
59. C'est pourquoi « il faut bien admettre que dans le système français, la jurisprudence n'est pas
créatrice » (H. CAPITANT, F. TERRÉ, Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile,
Tome 1, Dalloz, n° 11, p. 85).
60. Sur le principe de séparation des pouvoirs et la subordination du « pouvoir » judiciaire,
v.  M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, th. Paris, 1967,
LGDJ, 2e éd., 1980, « La notion de pouvoir judiciaire au début de la Révolution française, in 1791, la
première constitution française, Actes du colloque de Dijon, 1991, Economica, 1993, p.  355,
« Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire ? », in La Justice, Pouvoirs, n°  16, 1981, p.  5,
« L'évolution de la notion de séparation des pouvoirs », in F. HAMON et J.  LELIÈVRE (dir.),
L'héritage politique de la Révolution française, Lille, Pul, 1993, p.  95, Pour une théorie juridique de
l'État, PUF, 1994, spéc. p. 224 et s. (« Actualité de la séparation des pouvoirs »).
61. Art. 5 c. civ.
62. Art. 1355 c. civ. (anc. 1351 c. civ.).
63. « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » (art. 64
Const.).  Cette situation provient directement du régime politique français, consacré dans la
Constitution : c'est une République démocratique (art.  1er) dans laquelle seuls les représentants du
peuple peuvent exercer la souveraineté nationale (art. 3) (sur ce point, v. J.-P. GRIDEL, Introduction
au droit et au droit français, Dalloz, 2e éd., 1994, p. 295).
64. Art. 12 c. proc. civ.
65. Ces cours souveraines, qui intervenaient en dernier ressort, avaient abusé de leur pouvoir, en
statuant en équité, aucune loi ne les obligeant à l'époque à statuer en droit, et en produisant des arrêts
dits de « règlement ». Cette pratique consistait, pour les Parlements, à unifier la jurisprudence dans
leur ressort sur un point de droit, en rendant une décision qui réglait le problème de manière générale
et dont l'autorité s'imposait aux juridictions inférieures (J.-P.  ROYER, J.-P.  JEAN, B.  DURAND,
N.  DERASSE, B.  DUBOIS, Histoire de la justice en France, op.  cit., n°  31 et  32, p.  65 et s. ;
M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « "Royaume de la loi" : équité et rigueur du droit selon la doctrine des
Parlements de la monarchie », Justices, 1998, n°  9, p.  17 ; P.  PAYEN, Les arrêts de règlement du
Parlement de Paris au xviiie siècle, PUF, coll.  « Les grandes thèses du droit français », 1997 ;
B.  BEIGNIER, « Les arrêts de règlement », in La fonction de juger, Droits, n°  9, 1989, p.  45 et s. ;
V. DETEIX, Les arrêts de règlement, th. Paris, 1930).
66. V. supra, n° 2.
67. Ass. Constituante du 18 nov. 1790.
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