Bibliothèque de droit privé - Tome 579 - Le pouvoir normatif de la Cour de cassation à l'heure actuelle - 266

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LE POUVOIR NORMATIF DE LA COUR DE CASSATION À L'HEURE ACTUELLE

La force de la « résistance opposée par la Cour de cassation à la loi dite antiPerruche »202 permet de conclure notre propos. Le bris de jurisprudence limite le
pouvoir normatif de la Haute juridiction, plus que ne pourrait le faire une résistance des juges du fond ou une critique doctrinale, puisque la Cour de cassation est
tenue, d'un point de vue institutionnel et au regard de la hiérarchie des sources du
droit, d'appliquer la loi nouvelle. Mais observons que la Haute juridiction conserve
une large marge de manœuvre. En réduisant le domaine de la loi nouvelle ou en
limitant ses effets dans le temps, elle parvient à faire survivre la jurisprudence brisée,
parfois au point de lui soumettre la majeure partie du contentieux.
349. L'étude de ce deuxième chapitre a ainsi permis de constater que le bris
de jurisprudence est la seule limite prévue par notre système juridique au pouvoir
souverain de la Cour de cassation.
Mais il faut noter qu'il s'agit d'une limite très relative, car le bris de jurisprudence n'est que rarement exercé. Quoiqu'il comporte un domaine d'application
particulièrement vaste, puisque le législateur peut briser tous types de jurisprudence
- nouvelle comme ancienne, audacieuse comme orthodoxe, critiquée comme paisible - les facteurs déclencheurs de l'intervention législative sont peu fréquents. Ils
ne seront réunis que si la décision est « suffisamment choquante »203, c'est-à-dire si
elle entraîne des inconvénients majeurs, tels qu'une forte atteinte à la sécurité juridique ou à l'équité, ou encore si elle provoque d'importantes réactions de la part des
lobbies ou de la société civile. Il s'ensuit que la limite ainsi posée au pouvoir normatif de la Cour de cassation n'est que d'ordre exceptionnel.
Ajoutons qu'une fois exercé, le bris de jurisprudence n'a qu'une efficacité
limitée. Incapable de « briser » à proprement parler la jurisprudence litigieuse, en
vertu des principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité
judiciaire, le législateur ne peut, au mieux, qu'exercer une forte pression sur la
Cour de cassation, afin de la convaincre d'effectuer un revirement. Et si, la plupart du temps, celle-ci acceptera d'abandonner sa jurisprudence au profit de la loi
nouvelle - parfois, du reste, de manière particulièrement complaisante - elle
trouvera toujours, si elle le souhaite, le moyen de faire survivre la jurisprudence
brisée à travers l'interprétation de la loi nouvelle. Ceci, en réduisant son champ
d'application ou en limitant ses effets dans le temps, au point parfois de lui soustraire la majorité du contentieux.
350. Ce premier titre aboutit ainsi à la conclusion que la Cour de cassation,
placée au sommet de l'ordre judiciaire, dispose d'un pouvoir souverain d'interprétation. Elle fixe en dernier ressort le sens de la loi, sans qu'aucune juridiction
supérieure ne puisse corriger sa jurisprudence.
Sans doute, la configuration de notre système juridique n'empêche-t-elle nullement des phénomènes de contestation, tels que la résistance des juges du fond ou la
critique doctrinale - phénomènes qui parviennent parfois à convaincre la Cour de
cassation d'opérer un revirement de jurisprudence. Mais les faits démontrent que,
de manière générale, la Haute juridiction n'en est pas moins libre et peut choisir
d'ignorer certaines contestations promises au succès (résistance ou critique massive,
durable et pertinente) comme d'en consacrer d'autres dont la victoire était inespérée
202. D. VIGNEAU, D. 2012, p. 323.
203. M. WALINE, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence », art. précit., spéc. p. 627.

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