Hors collection - Lex Robotica - Le droit à l'épreuve de la robotique - 19

LUDoVIC GARAttINI

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la montée d'un certain malaise social, malaise que vont d'ailleurs utilement récupérer les idéologies qui ont transformé les sociétés du xxe siècle,
comme le marxisme ou le capitalisme1. Ce malaise manifeste une rupture
qui n'est plus seulement technique, sociale ou politique, mais aussi l'effet
d'une redistribution des rôles de tous les humains par rapport aux objets
techniques eux-mêmes. Il n'y a, dans les révolutions scientifiques et techniques de ces deux derniers siècles, pas seulement une transformation du
régime des sociétés, mais aussi de profondes transformations du régime
des techniques. or, ces transformations ne trouvent, à cette époque, pas
de cadre culturel en mesure de les accompagner. Si le prolétaire est aliéné
dans les gigantesques appareils de production industriels qui naissent au
xixe siècle, les prolétaires et les propriétaires sont tous deux aliénés de
manière tout à fait égale par rapport aux machines qui en naissent. La relation de propriété ne voit l'objet technique que de manière trop grossière,
comme un bien abstrait dont on peut disposer pour modifier la valeur
d'un capital, et le prolétaire ne voit l'objet technique que de manière fragmentaire, entrant en communication avec cet objet uniquement au niveau
de sa manipulation, qui n'est qu'un des maillons d'une gigantesque chaîne
productive, quand elle ne s'applique pas à l'entretien d'une de ses pièces
ou à l'usage d'une partie seulement et non à l'ensemble de la machine. que
les prolétaires deviennent propriétaires ne changent en rien cette aliénation
proprement technique par rapport à ces nouveaux ensembles et réseaux
techniques. tous deux ont perdu cette relation essentielle qui était celle
du porteur d'outils, c'est-à-dire celle dans laquelle l'humain assurait toutes
les relations entre les objets techniques dont il se servait. Une relation
que l'on pourrait qualifier « d'amitié » entre les humains et leurs outils ou
leurs objets techniques. Cette relation d'amitié entre les humains et leurs
objets techniques était particulièrement visible au sein des corporations
1. Voir à ce sujet l'excellent ouvrage de François Jarrige, Techno-critique, du refus des
machines à la contestation des technosciences, publié aux éditions La Découverte. L'ouvrage,
qui rend bien compte de la montée des tensions entre les individus des sociétés industrielles
et leurs machines, pourrait utilement être complété par une étude consacrée à l'analyse
du décalage grandissant entre les fondements, relativement anciens, des sociétés dans
lesquelles le phénomène industriel s'est développé, et les nouveaux fondements sociotechniques apportés par le développement des sciences et techniques. À ce titre, la reprise et
l'inclusion, à la fois par le marxisme et le capitalisme, des nouveaux ensembles machiniques
dans les conceptions du monde moderne qu'ils organisent, s'appuient sur une vision relativement ancienne de l'objet technique, à savoir l'être objectal sujet d'une possession (le
propriétaire) ou d'une utilisation (le prolétaire), ou encore l'objet d'un échange et d'une
utilisation productive que régule la relation contractuelle. or, les nouveaux ensembles
techniques et les nouveaux individus techniques produits dès la fin du xixe siècle et tout du
long du xxe siècle ne peuvent plus se comprendre, dans leurs manières d'agir, d'interagir et
de fonctionner en réseau quasi planétaires, depuis des notions développées pour des objets
produits par des corporations de métier. L'ère industrielle et informationnelle appelle de
nouveaux paradigmes techniques accompagnant et nourrissant le travail et l'usage culturel
des représentations de la technique.
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