Bibliothèque de droit privé - Tome 584 - La recherche d'un statut de l'oeuvre transformatrice - 293

LES LIMITES DE LA RÉSOLUTION DU CONFLIT PAR LE DROIT COMMUN

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constitue un exemple très révélateur. Le « mème »248 consiste à détourner un produit
culturel, le plus souvent une image, dans une perspective critique. La particularité de
ces « mèmes » est leur viralité : cela signifie que dans un temps relativement court
- quelques jours ou quelques heures - le détournement est répété un nombre innombrable de fois par de très nombreux internautes, toujours autour du même thème.
Par exemple, lorsque des internautes se sont rendus compte que la photographie d'un président de la République participant à la destruction du Mur de Berlin, publiée sur le site de l'Élysée, était un photomontage, des dizaines de « mèmes »
se sont répandus reprenant cette image du président en l'intégrant dans des photographies et tableaux de toutes sortes afin de faire croire qu'il avait participé à la
plupart des grands évènements de l'histoire de l'Humanité249. Or, il se peut que
cette photographie moquée soit elle-même l'objet d'un droit d'auteur, de sorte
que son auteur se trouve impuissant face à une diffusion massive de son œuvre
modifiée sans son autorisation.
De nouveau, il n'est pas certain que ces pratiques puissent bénéficier de l'exception de parodie. En effet, se pose en second lieu, comme en matière d'exceptions de citation, la question du critère matériel de l'exception de parodie qui est,
en vérité, double.
D'un côté, le détournement de l'œuvre d'autrui, dans le but de faire rire,
n'emporte pas en toutes hypothèses de modification matérielle de l'œuvre utilisée.
Si la parodie suppose souvent une déformation des traits caractéristiques de
l'œuvre qui en est l'objet, c'est aujourd'hui surtout le changement de contexte ou
l'association qui conduisent à faire rire, sans pour autant que l'œuvre ou les
œuvres utilisées soient matériellement modifiées. Or il existe, sur ce point, une
incertitude. La parodie suppose une distanciation avec l'œuvre utilisée. Mais deux
points demeurent objets de discussions.
Le premier porte sur le point de savoir si la parodie peut être caractérisée,
quand bien même l'œuvre source serait reprise dans son intégralité. Les positions
de la doctrine divergent sur ce point250 et la jurisprudence ne s'est pas prononcée.
Le second suscite l'interrogation sur le point de savoir si la modification
matérielle de l'œuvre parodiée constitue un critère d'existence de l'exception de
248. Il semblerait que le terme de « mème », soit issu d'un ouvrage de référence sur la théorie de
l'évolution : R. Dawkins, Le gène égoïste, 2e éd., Oxford University Press, 1989, Odile Jacob, 2003,
trad. L. Ovion, spéc. pp. 260-261. Le Professeur Dawkins y propose une explication de l'évolution
fondée sur le rôle des gènes. Mais il reconnaît que ce rôle est insuffisant à expliquer à lui seul l'évolution
et complète en conséquence sa démonstration en recourant à la notion de « mème ». Le mème est une
« unité de transmission culturelle » ou « une unité d'imitation ». Ce terme a été inventé par le
Professeur Dawkins afin de traduire à la fois ses similarités de fonctionnement avec le gène et le rôle
de l'imitation dans la transmission des idées et de la culture : « Tout comme les gènes se propagent
dans le pool génique en sautant de corps en corps par le biais des spermatozoïdes et des ovocytes, les
mèmes se propagent dans le pool des mèmes, en sautant de cerveau en cerveau par un processus qui,
au sens large, pourrait être qualifié d'imitation ». Comme le gène, le « même » se réplique, raison pour
laquelle ce mot a été détourné pour désigner certains phénomènes propres aux web 2.0. Dès lors, les
« mèmes » traduisent l'influence de la culture et de la transmission des idées sur l'évolution.
249. L'exemple est développé par A. Gunthert, « L'image conversationnelle. Les nouveaux
usages de la photographie numérique », op. cit., n° 31.
250. Pour l'application de l'exception dans cette hypothèse, v. notamment B. Galopin, Les
exceptions à usage public en droit d'auteur, op. cit., n° 269, p. 201 ; Contre l'application dans cette
hypothèse, v. notamment A. Françon, « Questions de droit d'auteur relatives aux parodies et
productions similaires », op. cit., spéc. p. 303.

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