Bibliothèque de droit privé - Tome 584 - La recherche d'un statut de l'oeuvre transformatrice - 441

LA CRÉATION D'UNE NOUVELLE EXCEPTION DE CRITIQUE

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d'ampleur contre les méfaits du tabac. Elle avait très vraisemblablement été choisie en raison de sa grande notoriété, le public était ainsi en mesure de comprendre
rapidement le lien, et donc le sens de la campagne.
Par comparaison avec ces deux premières affaires, la cour d'appel de Paris a
refusé d'accueillir l'exception de citation pour la publication d'une photographie
issue d'un film, reproduite à l'appui d'un article dans un journal133. Les juges ont
relevé que cette citation ne poursuivait aucune des finalités visées dans l'exception
à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle. En l'espèce, la photographie était issue du film Le Corniaud et représentait l'accident de voiture de Bourvil. Elle illustrait un article critique sur le système des bonus et malus pratiqué par
les compagnies d'assurance automobile. La photographie avait donc une vocation purement illustrative134 : le film n'était en aucun cas la cible de la critique et il
n'évoquait pas non plus de problèmes liés aux assurances.
592. La critique portant nécessairement sur l'œuvre d'autrui. On peut conclure
de ces divers exemples que la jurisprudence française est plus équilibrée sur la question de la place occupée par l'œuvre d'autrui dans le message critique, humoristique, scientifique ou pédagogique formulé par le bénéficiaire de l'exception. Si,
comme le soutient la Cour de justice de l'Union européenne, l'œuvre d'autrui peut
n'être qu'un moyen d'illustrer un tel message, cela conduirait à une extension assez
considérable du champ de l'exception. Or cette extension n'est pas justifiée.
L'objectif de l'exception est de préserver le débat d'idées, même non conventionnelles, sur l'œuvre d'autrui. Celle-ci est volontairement choisie par l'auteur de la
réflexion parce qu'elle est la référence à la lumière de laquelle il développe ses idées.
Les développements sont donc centrés sur cette œuvre, sa philosophie, son auteur,
voire les implications sociales ou morales de l'œuvre ou l'idée qui la sous-tend.
593. Les dérives induites par la décision Deckmyn. Dans l'espèce de l'affaire
Deckmyn, aucun lien particulier ne pouvait être tracé entre le message à connotation raciste diffusé par le parti politique et la bande dessinée choisie. En définitive,
le choix de ce dessin par le parti politique procédait d'une forme de parasitisme :
il s'agissait d'exploiter la notoriété des aventures de Bob et Bobette pour capter
l'attention du public. L'attention captée, le message sous-jacent pouvait plus facilement être reçu. Le recours à l'œuvre d'autrui permettait de donner une certaine
visibilité à un message politique à moindre frais. C'est exactement le même constat
qui peut être tiré de l'espèce dans laquelle les juges français ont rejeté l'exception
de citation pour la photographie du film Le Corniaud illustrant un article de
presse sans lien direct. La reproduction d'un film connu permet aussi au final à
l'auteur de l'article d'attirer l'attention de son lecteur à moindre frais135.
Or l'exception de critique n'a pas vocation à ouvrir un espace de liberté à des
comportements parasitaires, consistant à se situer dans le sillage d'autrui. Permettre
133. Paris, 4e ch. A, 22 mars 1995, S.A. U.G.C. Droits audiovisuels c./ S.N.C. Le Parisien Libéré,
RG n° 93-007987 : Légipresse 1995, n° 122, III, pp. 99-100.
134. Le journaliste avait tracé un lien entre la photographie et son article en assortissant la
publication de l'explication suivante : « Bourvil avait eu un sacré malus à la suite de l'accident de sa 2
CV dans Le Corniaud ». Mais ce lien demeure très lâche.
135. En ce sens, v. le rejet de l'exception de citation d'un fragment d'image, au motif notamment
que les défendeurs « ont voulu se procurer sans frais, une vignette qui leur semblait susceptible
d'attirer l'attention du public (...) » : TGI Seine, 3e ch., 1re sect., 13 oct. 1959 : RIDA 1961, XXXI,
pp. 93-94.
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