REFLETS MAGAZINE - Revue d'information et de réflexion économique - n°96 - (Page 5)

Le bébé et l’eau du bain V ivre autrement, agir autrement, consommer autrement ! Nous sommes régulièrement et impérieusement priés de modifier nos comportements. Dans le microcosme de l’enseignement supérieur, cela se traduit par « apprendre autrement pour manager autrement ». À lire les argumentaires de nos grandes écoles, pas une n’échappe à cette nouvelle et ardente obligation. La crise est passée par là, et les « excuses » de Florence Noiville pour avoir fait une grande école de commerce ont accrédité l’idée que nous allions dans le mur en perpétuant nos principes de management. Et pourtant, est-ce si vrai ? Vivre autrement implique-t-il de nouvelles méthodes de gestion ? N’est-on pas en train de confondre la fin et les moyens ? Nous avons été passionné par le récent ouvrage d’Emmanuel Faber*, Chemins de traverse. Celui-ci est vice-président du groupe Danone, et philosophe à ses heures. Il représente assez bien l’idée qu’on pourrait se faire de « l’honnête homme » moderne. Vivre et penser autrement ? Il le fait incontestablement, et ses préoccupations sociétales le prouvent s’il en était besoin. Manager autrement ? Il nous met en garde contre la confiscation par les acteurs économiques de concepts vertueux à des fins d’image et de satisfaction d’une bonne conscience collective. Ainsi, pour lui, il n’y a pas d’« entreprise éthique », il y a seulement des entreprises. Celles-ci ont pour objet de produire des choses, de remplir leur contrat avec leurs salariés et avec leurs actionnaires. Cette notion d’entreprise éthique serait née au cours des années soixante-dix, après la première crise pétrolière et les réactions malthusiennes qu’elle a provoquées. En revanche, l’entreprise – « normalement » gérée (et de préférence bien) – peut mettre ses talents au service de causes qui sortent du champ de l’économie classique, à condition que ces engagements soient librement acceptés par les actionnaires, salariés et dirigeants, et n’aliènent pas son objet principal. C’est ainsi que M. Faber a lancé avec la Grameen Bank de Muhammad Yunnus une initiative destinée précisément à ceux qui ne peuvent s’offrir les bienfaits nutritionnels des produits Danone : ce projet n’a été possible qu’avec le complet soutien de Franck Riboud, et les salariés du groupe ont participé à son financement sur la base d’un volontariat pleinement assumé. Bel exemple du fait que le management n’est pas un concept à géométrie variable, mais un ensemble de principes qui devraient s’appliquer dans toute entreprise correctement gérée. Nous disions que M. Faber était philosophe. Précisons qu’il s’intéresse plus particulièrement à la phénoménologie. Est-ce cette prédisposition qui lui a fait découvrir la possible existence d’activités humaines non prises en compte par l’économie classique ? Ces réflexions me ramènent à un autre ouvrage, de publication plus ancienne (2008) et emblématique de toute une littérature « post-crise » : Quelle économie voulons nous ?, de l’économiste Maurice Obadia**. L’auteur y évoque le fait que, selon lui, l’économie classique ne rend absolument pas compte de l’ensemble des activités humaines. Il existerait une « matière noire » qu’aucun des instruments de mesure de la comptabilité publique ne saurait appréhender. C’est ce qu’il appelle « l’économie relationnelle ». En quelque sorte, toutes les activités non monétarisées. L’économie de terrain de Muhammad Yunnus est-elle si différente de l’économie relationnelle de Maurice Obadia ? N’est-ce pas en prenant conscience de leur champ d’application aux conséquences insoupçonnées que nous pourrons vraiment faire exister la notion du « vivre autrement », sans forcément jeter le bébé d’une gestion rigoureuse des choses avec l’eau du bain de la mauvaise conscience ? * Albin Michel. ** Eyrolles. tribune libre Michel Gaurier >E68 page 5 page 5 mai/juin 2012 août/Septembre

Table des matières de la publication REFLETS MAGAZINE - Revue d'information et de réflexion économique - n°96

Couverture
Sommaire
TRIBUNE Le bébé et l’eau du bain
ACTUALITE
TRAJECTOIRE Nelson Burton, navigateur
CREATION D'ENTREPRISE Romain Pilliard
L'INVITE Pierre Mattei, DG de Corsica Ferries
DOSSIER SPECIAL Maroc, terre d'opportunités
PHARMACIE/SANTE A l'heure des mutations
MOUVEMENTS
VIE DES ENTREPRISES
CAMPUS
ALUMNI
A LIRE
Ils ont participé à la rédaction de ce numéro

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