ParaMag - n°297 - Février 2012 - 54

“Le Petit Prince” - Saint Exupéry

Guy Sauvage a écrit des textes en tout genres : billets d'humeur, reportages, poèmes, portraits, etc. Nous avons choisi de republier 2 de ses textes, déjà parus dans ParaMag : un billet d'humeur (voir en page Iconoclaste) et ce poème.

L'ÉTOILE PIÉGÉE
C'est après la pluie qu'il faut chercher les champignons. Ce jour-là, j'avais marché longtemps sans m'en apercevoir, jusqu'aux lointains endroits où la rumeur parachutiste ne parvient plus qu'assourdie. Dès qu'on s'éloigne quelque peu d'un terrain de saut, seuls les avions vous surveillent. Je ne dis pas qu'ils se déplacent exprès pour cela, non. En fait ils reviennent d'ensemencer le ciel de graines hâtives d'où naissent immédiatement de petites fleurs que le vent emporte aussitôt écloses. Mais il n'en est pas moins vrai qu'au retour des semailles les avions jettent un coup d'œil circulaire alentour, mine de rien, histoire de compter leur petit monde. Je le sais car l'un d'entre eux me l'a dit un soir, alors qu'un léger excès de kérosène le portait à la confidence. Je marchais le nez baissé. Je n'avais pas remarqué sa présence, je l'ai sentie avant que de la voir. C'est elle qui s'adressa la première à moi: "Vous cherchez des poignées de libération ?" Elle était assise sur une souche, son parachute roulé entre ses bras. Manifestement elle venait juste d'atterrir et n'avait pas encore eu le temps de relever ses lunettes de chute sur son front. Au sourire qu'elle m'a adressé, j'ai compris qu'elle n'était pas surprise de me voir. Lorsqu'à présent j'y pense, ce détail aurait dû m’alerter. Nous étions loin de tout, elle aurait dû au moins manifester sa déception d'avoir été aussi mal larguée. Mais non, rien de tout cela, rien d'autre que son sourire tranquille pour me rassurer lorsque je lui demandai si tout allait bien. Elle me dit "Oui" d'une voix si pure que j'eus l'impression d'être traversé par le vent. Je lui dis: "Ôtez vos lunettes s'il vous plaît, il y a un reflet de soleil dessus et je ne vois pas vos yeux". Je me trompais, le soleil n'y était pour rien. Lorsqu'elle releva ses lunettes, il s'en échappa une étoile que ses yeux avaient piégée pendant qu'elle traversait le ciel. Le plus étonnant, je m'en rends compte aujourd'hui, est que je vis s'échapper cette étoile sans en être autrement étonné. Nous la suivîmes tous deux du regard jusqu'à ce qu'elle fût dissoute dans le bleu. "Les étoiles volent à l'envers des hommes, dit-elle. Elles montent pour rentrer chez elles".

Qui est cette folle ? Me dis-je. Des rencontres pareilles, il n'y a qu'à moi que cela arrive ! J'avais tort, mais là encore je ne le sus que plus tard. Où avais-je la tête à ce moment-là ? Aujourd'hui encore, je suis incapable de dire si elle était blonde ou brune. Je me rappelle seulement qu'elle avait des cheveux d'ondine qui semblaient doucement agités par quelque courant invisible et flexueux. Lorsqu'elle en releva une mèche comme le font souvent les filles d'un geste machinal, ses doigts réveillèrent une poussière brillante qui voleta. Je m'assis à côté d'elle et lui demandai : "Ils ne vont pas s'inquiéter, au Centre, de ne pas vous voir rentrer ?" Elle sourit encore. "Non, non. Ils me connaissent vous savez. Ils savent que je suis toujours là quand ils me désirent, et je sais très bien lorsqu'ils me désirent. Je me repose seulement un peu avant de retourner là-bas". - "Vous êtes fatiguée ?" demandai-je. - "Un peu, oui. L 'été a été un peu dur. C'est surtout pendant l’été qu'ils veulent m'aimer. Alors, évidemment..." Je la détaillai un peu plus. Elle était anormalement belle. Fraîche et claire jusqu'à la transparence. La curieuse opposition entre son visage de très jeune fille et l'expérience qui semblait se dégager d'elle me rendaient son âge indéfinissable. Elle se leva pendant un instant pour ramasser un pan de voile qui glissait et j'eus d'un seul coup terriblement peur qu'elle s'envole. Sous le prétexte de l'aider je frôlai hypocritement son épaule de mon visage, histoire de respirer son parfum. C'était un mélange provocateur et pourtant délicat d'air frais et de joie hardie.

"Asseyez-vous, dis-je. Vous n'allez pas partir tout de suite n'est-ce pas ?" Elle sourit encore. - "Non, non. Je suis à vous aussi, vous savez. Elle ajouta en me regardant au fond des yeux : Car vous êtes comme les autres, vous m'aimez n'est-ce pas ?"
Je déglutis. "C'est que... que... bafouillai-je, vous m'impressionnez !" Elle laissa jaillir un rire frais comme une cascade de montagne et réveilla deux alouettes qui partirent en froissant l'air. Puis ses yeux étonnamment clairs se reposèrent sur moi. - "Sérieusement ? Je vous impressionne ?" Elle prit un temps et ajouta, malicieuse: "À votre âge ?" - "Un peu moins maintenant que je vous ai vu rire”, fis-je (Je me sentais reprendre du poil de la bête et décidai de me lancer) : "Dites-moi: ne nous sommes pas déjà rencontrés quelque part ?"

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