Cultures marines n°314 - 12

grand angle

Actualité

L'huître triploïde en accès libre sur internet

Rideaux. Le documentaire de
52 minutes se termine sur un beau
coucher de soleil dans les parcs à
huîtres. En ce jeudi 8 février, jour
d'élections dans les comités régionaux conchylicoles, Paris est sous
la neige. Dans la salle très fraîche
du Reflet médicis pour cause
de chauffage déficient, le public
applaudit chaleureusement. Des
bravos fusent ça et là. Les lumières
se rallument et le débat se poursuit.
Un débat qui n'en est pas tout à
fait un. Ceux qui ont fait le déplacement pour assister à cette projection sont tous du même bord.
L'œuvre de Grégoire de Bentzmann
et Adrien Teyssier n'est pas un
simple film pédagogique sur l'ostréiculture mais un documentaire
militant en faveur de l'huître née
en mer. Le titre annonce la couleur :
L'huître triploïde, authentiquement
artificielle.

Un temps de parole
peu équitable
La triploïdie n'était pas censée
être le centre du sujet quand les
deux jeunes réalisateurs se sont
mis en tête de faire un film sur
l'huître. « On savait que ce serait
un thème important mais, au

Les deux réalisateurs, Adrien Teyssier (à gauche) et Grégoire de Bentzmann, âgés respectivement de 30 et 32 ans.

départ, ce n'était pas le fil rouge »,
raconte Adrien Teyssier. Ça l'est
devenu. « Plus on a creusé, plus
on s'est rendu compte de la difficulté à faire parler sur ce sujet,
complète Grégoire de Bentzmann.
On a voulu faire sortir ce débat de
l'ostréiculture et l'amener devant
le grand public. »
Pour ce faire, les deux réalisateurs ont rencontré les différentes
parties. « On a essayé de donner la
parole à un maximum de gens »,
souligne Grégoire de Bentzmann.
En effet, ostréiculteurs pro ou
anti-triploïdes ont la parole. On
entend le discours des écloseurs,
les explications scientifiques de
l'Ifremer et d'autres centres de
recherche. Pour autant, on ne peut
pas dire que les temps de parole
soient équitablement distribués.
Un seul ostréiculteur défendant les
triploïdes s'explique face caméra, le
Charentais David Hervé, alors que
plus d'une demi-douzaine d'ostréiculteurs traditionnels déroulent
leur argumentaire. « On aurait
aimé avoir davantage de défenseurs de la triploïde mais c'était
très difficile », explique Adrien
Teyssier. Le résultat final est donc
à charge. « C'est notre parti pris,
reconnaît Grégoire de Bentzmann.

L'affiche du film annonce clairement
le parti pris des réalisateurs.

Marion Larronde-Larretche

Pro et anti-triploïdes
s'aﬀrontent dans ce documentaire au parti pris non
dissimulé. Jusqu'ici conﬁné à
des projections intimistes, le
ﬁlm est, depuis le début du
mois de février, visible par
tous sur la toile.

Cultures MARINES n°314 - mars 2018

On voulait donner la parole aux
ostréiculteurs traditionnels car
ils ne sont aujourd'hui pas assez
entendus. » Dommage que l'on
n'entende pas aussi la vision des
nombreux ostréiculteurs qui font
appel au naissain de captage et
aux produits d'écloserie, et qui
sont sans doute majoritaires dans
la profession.
En 52 minutes, le film balaye
donc deux visions qui s'opposent
et tout un tas de sujets : rentabilité
économique, saisonnalité, responsabilité dans le cadre des mortalités, risque de stérilisation du milieu,
homogénéité des produits, utilisation d'antibiotiques, intégrisme des
uns, productivisme à outrance des
autres, étiquetage... Achevé en
2015, le film a pu voir le jour grâce
à la générosité de donateurs. Il a été
projeté une première fois dans une
autre salle parisienne, L'Escurial, en
juin 2015. Puis présenté dans une
petite dizaine de festivals depuis,
ou de manière plus confidentielle
via des associations intéressées par
la protection de l'environnement,
des Amap...

Toujours d'actualité
Les réalisateurs ont bien cherché
à le faire distribuer, sans y parvenir
jusqu'à présent. « Le sujet des
huîtres n'est pas un thème qui
déplace les foules », déplore Gré-

goire de Bentzmann. « Et on arrive
avec un produit qui ne rentre dans
aucune case, complète Adrien
Teyssier. On n'était pas prêts à tout
déconstruire pour reconstruire. »
Leur but étant quand même que
le film soit vu, Grégoire et Adrien ont
donc décidé de le mettre en accès
libre sur internet. Il peut ainsi être
visionné depuis le vendredi 9 février
sur le site huitretriploide.com.
Même si le documentaire commence à dater, « il reste d'actualité
avec les mêmes incertitudes, les
mêmes craintes et les mêmes
problématiques », estime Olivier
Mahé, un des ostréiculteurs traditionnels interviewé dans le film.
Rien n'aurait changé en trois ans ?
À un détail près. Adrien Teyssier, fils
de l'illustre ostréiculteur normand
Louis Teyssier, était comédien avant
de se lancer dans cette aventure.
Aujourd'hui il a un pied dans le
milieu ostréicole. « Je n'abandonne
pas l'idée d'être acteur mais je
ne m'investis plus à 100 % là-dedans. Je suis expéditeur, je n'ai
pas encore de parc à mon nom
mais j'ai comme projet de rentrer
dans l'entreprise de mon père.
Ce film m'a permis de me rendre
compte de ce que ma famille avait
construit au fil du temps. » Et lui a
donné le goût de l'ostréiculture. Un
autre virus que l'OsHV-1 μvar.
Marion LARRONDE-LARRETCHE

http://www.huitretriploide.com

Cultures marines n°314

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