Cultures marines n°315 - 43

gestion

Entreprise

Conflit d'usage : mais si, le dialogue est possible !
Les tensions sur le littoral sont
nombreuses et complexes à
dénouer. En Bretagne sud, les
professionnels sont parvenus à travailler ensemble.
Comment ?

révélatrice : « Le mot phyto signifiait
pour les uns phytoplancton, pour
les autres phytosanitaires ; avec
cela, comment voulez-vous que
les gens se comprennent ? »

Dès que l'on parle conflits d'usage,
l'expérience de Pénerf revient inlassablement dans les discussions, en
particulier avec les sociologues, elle
fait office de modèle. Et pour cause.
À la fin des années 1990, alors que
les classements conchylicoles sont
mis en place, les tensions sont à
leur apogée, les prises de bec violentes. Établir un dialogue à partir
de cette base-là semble impossible.
Et pourtant.
« Nous considérions être les
victimes des agriculteurs, jugés
responsables des déclassements
qu'on subissait, se souvient Philippe Le Gal, président du CRC
de Bretagne sud, alors les deux
premières réunions avec eux se
sont plutôt mal passées. » Mais les
suivantes beaucoup mieux, grâce à
une animatrice qui a calmé le jeu,
obligé les personnes autour de la
table à s'écouter. Des visites dans
les exploitations et les chantiers
ont également été organisées, car
conchyliculteurs et agriculteurs ne
parlaient pas le même langage.
Camille Simon, chargé de mission au parc naturel du golfe du
Morbihan, relate une anecdote

C'est donc à force de réunions,
d'obligations de se taire lorsque
quelqu'un parle, d'interdictions de
couper la parole et de visites de
terrain que les tensions sont redescendues. « Une fois, un scientifique
nous a montré une goutte d'eau
et son plancton au microscope, se
rappelle Patrice Le Penhuizic, élu à
la chambre d'agriculture. Là, on a
compris les liens de cause à effet
et les craintes dont parlaient les
conchyliculteurs. Et eux, en venant
dans nos fermes, ont compris nos
contraintes et arrêté de croire que
nous étions responsables de tous
leurs problèmes. »
Pour parvenir à une telle entente,
« il fallait pouvoir prendre du
temps pour ces réunions et avec
nos métiers, ce n'est pas simple »,
rappelle Frédéric Nicolazo, ostréiculteur. Mais c'est aussi une question
de personne. « Vous savez, parfois,
il y a les bonnes personnes au bon
endroit au bon moment, philosophe Philippe Le Gal. Il n'y a pas un
mode d'emploi unique. »
Mais il y a tout de même des
éléments qui aident, comme la
configuration géographique.

Un travail de longue haleine
Cinq ans après la reprise du dialogue, l'association Cap 2000 voit le
jour. Avec le CRC et les agriculteurs,
elle met en place une charte de
bonnes pratiques où l'épandage est
interdit à moins de 500 mètres du
littoral. L'association a également
lancé des études pour mieux comprendre les pressions qui pèsent
sur la qualité de l'eau et tombe sur
le pot aux roses : les agriculteurs,
tant pointés du doigt, ne sont pas
les seuls responsables, il y a aussi,
et peut-être surtout, les réseaux
d'assainissement.
Là encore, le dialogue avec
les collectivités a été laborieux à
construire. « On s'engueule à la
première réunion et à la deuxième,
on peut commencer à se parler »,
ironise Philippe Le Gal. Et dix ans plus

tard, les efforts paient. Les stations
d'épuration sont modernisées, les
réseaux améliorés, même s'il reste
encore du travail.
Néanmoins, tout ne se résout pas
en une réunion. « Le parc naturel
a mis en place des commissions
thématiques, relate Camille Simon,
dans lesquelles toutes les parties
prenantes sont représentées. »
Ainsi la commission eau se compose
de conchyliculteurs, agriculteurs,
élus, riverains et associations environnementales. De même, le CRC
est désormais associé lorsqu'un projet de station d'épuration est lancé.
Aujourd'hui, le dialogue semble
donc établi entre professionnels de
la mer, de la terre et les élus « même
si rien n'est jamais gagné, ni acquis », relativise Patrice Le Penhuizic.

Le lien avec les riverains
La difficulté semble désormais
poindre du côté des riverains et associations environnementales. Là aussi
un travail d'échanges et d'écoute est
à construire. Pour Philippe Le Gal,
la pédagogie serait la clef : « Nous
devons expliquer que nous travaillons dans le milieu naturel sans y
apporter quoique ce soit, que nous
avons notre place sur le littoral et
que, pour travailler, nous avons
besoin de bâtiments, des routes et
d'engins parfois bruyants. »
Julie LALLOUËT-GEFFROY

Julie Lallouët-Geffroy

Apprendre à s'écouter

« Nous sommes sur une petite
zone avec des enjeux peu médiatisés, explique Patrice Le Penhuizic.
Dans les Côtes-d'Armor, avec un
contexte algues vertes, ça doit
être une autre histoire. » Et Camille
Simon, du parc naturel, de rappeler
l'importance du bon timing : « Il vaut
mieux éviter de faire une réunion
sur la qualité bactériologique en
pleine crise du lait et attendre une
période plus calme. » Du bon sens,
certes, mais ça ne fait pas de mal de
le rappeler tant la temporalité des
uns n'est pas celle des autres.

Avec les agriculteurs hier, avec les riverains aujourd'hui, la concertation est fondamentale.
Cultures MARINES n°315 - avril 2018

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