Cultures marines n°331 - 43

RENCONTRE 43

Ika Paul-Pont :

« Les microplastiques ont des effets
très forts auxquels on ne s'attendait pas. »
À 37 ans, Ika Paul-Pont va recevoir la médaille de bronze du CNRS. Une distinction élogieuse
pour un sujet de recherche porteur : les microplastiques dans les écosystèmes côtiers.
dans le milieu marin. Et on ne connaît
pas non plus leur comportement : s'ils
s'agrègent entre eux, à la matière organique, à la matière en suspension.
On sait en revanche qu'ils existent
et qu'ils sont toxiques à de fortes
concentrations.

Sur quoi travaillez-vous ?
J'ai été recrutée au sein du Lemar
[laboratoire des sciences de l'environnement marin] il y a six ans sur la
thématique du devenir et de l'impact
des microplastiques dans les écosystèmes côtiers. Seulement deux laboratoires en France s'intéressaient alors
à ce sujet, il y en a aujourd'hui plus
d'une vingtaine. Au Lemar, nous avons
trois axes de travail. Le premier est de
suivre les niveaux de contamination en
milieu côtier. Le second porte sur ce
qui est colonisé sur ces débris : nous
nous intéressons surtout aux bactéries et aux virus mais il peut y avoir
aussi des champignons, des larves, des
protozoaires...
Faites-vous un lien entre les microplastiques et l'émergence de
maladies ?
On détecte l'ADN de certains pathogènes comme celui de certaines espèces de vibrios ou de l'ostreid herpès
virus sur les microplastiques mais à
des quantités inﬁmes et on ne sait pas
encore s'il s'agit de formes viables et
infectieuses.
Et votre dernier axe de recherche ?
C'est l'impact de ces particules sur les
espèces marines : le phytoplancton, les
mollusques, les poissons, et pour ceux
dont on maîtrise le cycle de vie, à l'âge
adulte mais aussi aux stades embryonnaires, larvaires et juvéniles.
Vous êtes spécialisée sur les bivalves.
Les microplastiques sont-ils toxiques
pour les huîtres et les moules ?
Chez des moules exposées pendant

Vous allez recevoir la médaille de
bronze du centre national de la recherche scientiﬁque (CNRS) le 5 décembre. Que distingue-t-elle ?
Elle encourage et félicite les jeunes
chercheurs pour leur dynamisme et
leur participation à faire rayonner l'institut. 43 médailles de bronze ont été
distribuées cette année sur un effectif
de 11 000 personnes. C'est une belle
reconnaissance.

« Les
microplastiques
des produits de la
mer représentent
une part
anecdotique de ce
que l'on ingère. »

une semaine à des microbilles de
polystyrène, on observe une inﬂammation des tissus et une modulation
des mécanismes de défense. À plus
long terme, on note une modiﬁcation
de la ﬁltration et du taux d'assimilation de la nourriture des huîtres. On
a ainsi obtenu une baisse de 38 %
des œufs produits, une vélocité des
spermatozoïdes réduite de 23 %, un
taux d'éclosion diminué de 41 % [lire
Cultures marines n° 322]. Ce sont des
effets très forts auxquels on ne s'attendait pas.

Avez-vous aussi observé ces effets
dans le milieu naturel ?
Nos concentrations en laboratoire
sont cent à mille fois supérieures. En
rade de Brest, les niveaux de
LA FILIÈRE
contamination des eaux de surOSTRÉICOLE
face sont inférieurs à une partiEST TRÈS À
cule par m3 donc il est peu proL'ÉCOUTE
bable qu'il y ait un effet sur les
DE CE SUJET. »
mollusques. En Méditerranée,
on en trouve plusieurs millions par
km2, donc là, je ne sais pas. Le problème est que l'on n'a aucune donnée sur les microplastiques inférieurs
à 50 microns ni sur les nanoplastiques
[particules inférieures à un micron].
Les modèles de fragmentation nous
disent que plus on descend en taille,
plus les quantités explosent mais nous
n'avons pas les capacités analytiques
pour quantiﬁer des éléments si petits

Vous avez étudié la toxicité des nanoplastiques sur les bivalves ?
Oui, et elle est très forte. Les nanomatériaux sont extrêmement réactifs
avec les membranes biologiques et
les molécules présentes dans les cellules donc la toxicité est toujours plus
forte à l'échelle nano que micro. En
laboratoire, on a vu une diminution de
la capacité de reproduction, des malformations embryonnaires, une baisse
des taux de larves...
Est-ce dangereux pour l'homme de
consommer des bivalves contenant
des particules de plastique ?
On ne sait rien sur la toxicité des micro
et nanoplastiques sur l'homme. On
sait qu'on en trouve partout : dans
le miel, le sel, l'eau en bouteille, l'eau
du robinet, la bière... Il y en a aussi
dans l'air. Les microplastiques qu'on
ingère via les produits de la mer représentent donc probablement une part
anecdotique.
Qu'est-ce qui vous a motivé pour travailler sur les microplastiques ?
C'est un contaminant qui parle à tout
le monde, ce n'est pas que le problème de grands groupes industriels,
ces déchets font partie de notre quotidien, de notre société. Et on voit bien
que les comportements changent.
Ce qui veut dire que vous êtes optimiste pour la suite ?
Il y a du boulot mais beaucoup de
projets émergent. La ﬁlière ostréicole
est par exemple très à l'écoute de ce
sujet et met des choses en place pour
réduire son impact sur l'écosystème.
Donc non, je ne suis pas pessimiste
pour l'avenir.
Propos recueillis par
Marion Larronde-Larretche

Cultures marines n°331 Novembre 2019

Cultures marines n°331

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