Cultures marines n°332 - 24

24 SCIENCES

Néoplasie

Un cancer qui voyage avec les hommes
Non seulement les cellules de la maladie voyagent dans l'eau, mais on vient aussi
de découvrir qu'elles pouvaient passer d'une espèce de moules à une autre.

« La néoplasie
n'est
vraisemblablement
pas la cause directe
des mortalités »,
explique Erika Burioli.

teurs de l'étude publiée en novembre dans
le journal scientiﬁque eLife. Ainsi une lignée
unique de cette maladie transmissible a voyagé
à travers les océans Atlantique et Paciﬁque, et
entre les hémisphères nord et sud. »

DEUX NÉOPLASIES

En analysant l'ADN de la néoplasie, les chercheurs
ont trouvé deux origines différentes.

Marion Larronde-Larretche

eux articles scientiﬁques récents
éclairent l'évolution de la néoplasie, cette maladie transmissible
et voyageuse, qui touche deux
espèces terrestres, ainsi que des bivalves.
D'abord détectée sur la moule américaine de Colombie-Britannique au Canada
(Mytilus trossulus), la maladie a ensuite
été trouvée sur deux espèces de Mytilus
edulis et galloprovincialis, en France et en
Europe. Puis sur la moule chilensis au Chili,
à 12 000 km de trossulus. Les scientiﬁques
ont prouvé que la maladie se déplace
grâce aux cellules qui passent d'un coquillage à l'autre, l'eau servant de vecteur de
transmission.
« De façon inattendue, [les néoplasies
observées] de M. chilensis et de M. edulis
étaient presque identiques, montrant qu'elles
sont issues d'une même lignée, écrivent les au-

Ces deux néoplasies presque identiques, présentes de chaque côté du
globe, seraient descendantes d'une
même trossulus infectée « par le passé ».
Une néoplasie, baptisée Mytilus BTN2.
L'étude ADN montre que la néoplasie
de cette trossulus ancienne, serait l'origine commune des néoplasies trouvées
sur chilensis et edulis. Et qu'elle est différente de la néoplasie détectée sur les
trossulus de Colombie-Britannique il y a
deux ans. Une néoplasie baptisée cette
fois Mytilus BTN1.

« Le déplacement a sans doute eu lieu par le
transport accidentel de moules malades sur des
navires de la marine marchande », envisage
Marisa Yonemitsu, du Paciﬁc northwest
research institute à Seattle, auteure principale de l'étude. L'introduction de ces
agents pathogènes serait donc favorisée
par les activités humaines.
Un point de vue partagé par Nicolas
Bierne, directeur de recherche à l'université de Montpellier, co-auteur de l'article
et l'un des premiers en France à étudier
ce phénomène. Il pointe que « le cancer
nommé Mytilus BTN2 est le même au Chili et
en Europe. Étant donné qu'on n'a pas observé
de migrations naturelles à travers l'équateur depuis 20 000 ans, la propagation par l'homme
est l'hypothèse la plus probable. Cela peut être
dû aux bateaux, à l'aquaculture aussi ».
Hélène Scheffer

[ Une responsabilité dans les mortalités écartée

epuis quand cette maladie existe-telle ? Pas de date encore, mais les deux
articles, qui observent deux lignées différentes, font remonter l'origine de la maladie à deux ancêtres différents de Mytilus
trossulus. Soit deux origines indépendantes,
et l'une d'elles qui se transporte ensuite
vers deux nouvelles espèces, de chaque
côté du globe. « Le résultat corrobore le fait
que la néoplasie est un cancer transmissible
dont l'origine se trouve dans M. trossulus

pour ensuite passer à M. edulis », écrit Erika
Burioli et ses co-auteurs dans un article
paru en novembre dans Journal of invertebrate pathology.
Grâce aux analyses d'ADN, la scientiﬁque alors en post-doctorat au laboratoire
Labeo de Caen, a trouvé des animaux avec
une « polyploïdie très élevée, de 8 à 18 ».
Autre avancée : « Nous avons prouvé que la
prévalence de la maladie est plutôt basse, ce qui,
couplé avec un faible taux de mortalité observé

Cultures marines n°332 Décembre 2019 - janvier 2020

dans le labo, suggère que la néoplasie n'est vraisemblablement pas la cause directe des épisodes de
mortalités en France », relativise la scientiﬁque.
« L'issue semble être l'extinction de ces cancers transmissibles, leur évolution est une impasse », anticipe Nicolas Bierne. De plus, la
maladie pourrait être moins virulente que
d'abord envisagée. Les expérimentations
ont montré « qu'il y a même des rémissions,
c'est très intéressant », souligne Nicolas
Bierne.

Cultures marines n°332

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