Cultures marines n°336 - 31

RENCONTRE 31

Amélie Dennebouy

Une mytilicultrice à la tête dure
Travailler en production en tant que femme n'est pas une mince affaire.
Faute de CDI, Amélie Dennebouy a décidé de reprendre une entreprise de Pénestin.

HORS CADRE

Bastien Bizeul

Amélie Dennebouy ne se laisse pas
décourager, au contraire, ces embûches semblent renforcer sa détermination à faire ce qui lui plaît.
Et ça commence dès le lycée. D'un
père cadre chez Veolia et une mère
éducatrice spécialisée, l'adolescente
qui passe ses étés sur le littoral normand suit une ﬁlière générale dans
un lycée du Mans.
La lycéenne décide ensuite de partir à Guérande, à côté de Pénestin
dans le Morbihan, pour suivre un
bac pro cultures marines. Elle quitte
les terres sarthoises pour l'internat ligérien. Elle poursuit en BTS et
enchaîne les stages. Elle aurait aimé

Julie Dennebouy

n ne prend pas de femme. »
Cette phrase, la mytilicultrice Amélie Dennebouy
l'a entendue à maintes
reprises depuis qu'elle a commencé à
travailler dans la production à 17 ans.
« Ça fait dix ans que je me suis faite à
l'idée qu'en tant que femme, j'aurai du
mal à trouver du travail. »
Des anecdotes, elle en a à la pelle.
Il y a les patrons qui lui ont ri au nez,
la fois où elle s'est présentée avec un
CV production et qu'on lui montre
l'espace vente, les « t'es passée sous
le bureau ? ». « Ça fait quatre ans que
je veux travailler dans la coquille SaintJacques, malgré trois patrons qui ont
poussé ma candidature, impossible. Ils
étaient dépités et ont compris pour la
première fois ce que je vivais. »

« Je ne voulais
pas être enclavée,
psychologiquement. »

moules, « preuve que je bosse bien », et
aussi les marchés.
En 2016, elle décide de poser ses
valises à Pénestin car « la paie n'est pas
si mal par rapport à d'autres secteurs ».
Elle enchaîne les CDD dans la trentaine d'entreprises mytilicoles du
secteur. Pour compléter son année et
atteindre un équivalent temps plein,
elle cumule trois autres emplois :
des CDD boucherie charcuterie, des
contrats dans le BTP en électricité, de
l'intérim dans les criées.
La trentenaire espère le CDI, n'obtient que des CCD, jusqu'au jour où
Yvan Bizeul, mytiliculteur dans le
secteur lui annonce qu'il veut vendre.
Ils concluent le deal et préparent la
transmission en travaillant en binôme
pour les trois années suivantes.
L'accord a beau être scellé, tout
n'est pas gagné. « Vu que je ne suis pas
ﬁlle de, ni originaire de Pénestin, on m'a
Pénestin
dit que je n'y arriverai pas. On m'a dit
que je devais embaucher quelqu'un pour
la production. » Il a fallu convaincre les
banques qu'une femme peut faire
tourner la boutique dont sa partie
production.
aller dans des petites structures
Pour le moment, elle a acheté un
mais seules les grosses acceptent tiers des parts sociales de l'EARL, soit
de la prendre. Et elle varie les sec- 200 000 euros d'emprunt. Amélie
teurs, « je voulais bouger, de la Vendée Dennebouy va récupérer 2 500 pieux
à la Normandie, ne pas être enclavée et une production moyenne de 30
psychologiquement ».
tonnes. Son objectif :
ELLE SE
Elle observe les
augmenter le nombre
techniques, le maté- DONNE TROIS
de bouchots, doubler la
riel qui varie selon les ANS POUR
production, améliorer la
secteurs et les entre- RÉUSSIR LA
qualité, s'orienter vers la
prises. Par exemple, TRANSMISSION. vente directe. Autant dire
depuis qu'elle déun changement complet
couvre les machines qui permettent pour une exploitation historiquede remplir les boudins de moules, ment tournée vers le marché de gros.
elle trouve que « le faire à la main
Pour le moment, elle a fait une
est une perte de temps. J'ai convain- première saison et garni elle-même
cu une de mes patronnes d'en acheter les pieux. « C'est beaucoup de stress,
une et elle ne regrette pas ». Amélie heureusement que je suis soutenue et
Dennebouy se barde de diplômes - entourée. » Et elle note, non sans iroplongée, capitaine patron niveau 1, nie, que depuis que la transmission
capitaine 200 pour la petite pêche, est lancée, « on m'a proposé plusieurs
licence pour les civelles - et d'expé- CDI ».
rience. Elle fait toutes les saisons des
Julie Lallouët-Geffroy

›

Amélie Dennebouy
espère pouvoir
s'installer en 2021.

Cultures marines  n°336  Mai 2020

Cultures marines n°336

Table des matières de la publication Cultures marines n°336