Journal le marin - n°3112 - 2 mars 2007 - (Page 25)

1 ligne de T - ﬁxe mémoire de l’histoire 2 lignes de T Marins en taxis François Malgorn continue de raconter les voyages épiques des Taxis bretons transportant des marins vers leurs ports d’embarquement… Marine Photo/coll. JY Brouard Jusque dans les années 1980, les taxis bretons venaient déposer les marins dans les ports du Nord, y compris à Dunkerque (dont on voit ici la darse VI ; le cargo en bas à gauche est le « Frank Delmas », construit en 1975 ; derrière lui, c’est un cargo belge de la CMB). La première escale du véhicule a toujours lieu de bon matin, vers 6 h, à Villedieu-les-Poêles (Manche), où plusieurs taxis se retrouvent fréquemment, précise François Malgorn. On peut assister à des réajustements de cargaison, voire même à des transferts de marins, suivant les ports de destination. Un véhicule prenant tout le « Le Havre », l’autre tout le « Rouen » Allez un peu de courage, encore 2 heures de route. Au péage du pont de Tancarville c’est le réveil ; on ne peut pas se tromper, l’odeur des rafﬁneries étant là pour nous le rappeler, nous arrivons au Havre… Le taxi se dirige vers « l’ambassade de Bretagne », le bar La Petite Brasserie dans le quartier de l’Eure. Cet endroit a longtemps été le seul refuge où les marins peuvent trouver un peu de réconfort, rencontrer des « pays », téléphoner à la maison, déposer des colis à faire parvenir en Bretagne ou tout simplement discuter avec les patrons très proches de la sensibilité des gens de mer. C’est également là que le chauffeur se renseigne sur les postes à quai des navires, les embarquants prenant un petitdéjeuner avant de voir se dessiner l’étrave de leur bateau le long du quai. Je me souviens des mésaventures d’un ami habitant l’île d’Hoëdic, Jojo. Il doit embarquer au Havre et pour cela s’y rendre en taxi. Le rendez-vous a été ﬁxé comme d’habitude du côté d’Auray, au bar que tient le chauffeur. Malheureusement ce jour-là le « courrier » de l’île n’a pas pu faire sa rotation sans doute pour cause de mauvais temps. Impossible de rallier le continent ! Notre ami se retrouve coincé sur son petit bout de terre… Rater un embarquement n’est jamais très apprécié par la compagnie. Notre compère aperçoit sur le terre-plein l’hélicoptère de la Protection civile, venu apporter le courrier ; il va expliquer sa situation désespérée aux pilotes, qui acceptent volontiers de le déposer sur le continent. Au bar où le rendez-vous est ﬁxé, on s’apprête à prendre la route en achevant la dernière bière, las d’avoir attendu vainement l’arrivée de Jojo. Quelle n’est pas la surprise de voir notre ami descendre, tel un ministre, de l’hélicoptère rouge dans le pré derrière le café ! rins, de calculer le plan de chargement de la voiture. Aux valises de l’aller sont venus se rajouter des colis de toutes sortes remplis de souvenirs et de denrées (plus ou moins périssables). Citons pêle-mêle : les cartons de bananes, les statuettes africaines, la maquette de voilier de l’île Maurice, le ﬁlet de pêche japonais, les caisses de rhum, les jouets pour les enfants, si ce n’est le salon en rotin de Djakarta ou les plantes carnivores d’Amazonie… II faut d’abord que chacun passe à la douane aﬁn de régler les sommes dues. Tout le monde doit être en règle. Il n’est pas question de perdre des heures à tout déballer devant les douaniers postés sur le parking du pont de Tancarville. Tout doucement midi approche et chacun a réglé ses petits problèmes. Les remplaçants sont à leurs postes, les représentants syndicaux ont dit leur messe, les taxes douanières ont été réglées, le chauffeur de taxi a réussi à ﬁceler sa voiture autour des colis. Certains ont même eu le temps de faire trois fois le tour des buvettes du quartier de l’Eure et ne savent plus très bien s’ils embarquent ou s’ils rentrent à la maison ! Ce n’est pas grave, ils se dégriseront le temps du trajet FIN Note : François Malgorn va publier ses souvenirs dans un livre à paraître au mois d’avril, sous le titre « Carnet d’un marin » (éditions de l’Ecir). En passant par Villedieu-les-Poêles Villedieu-les-Poêles est une halte naturelle, un lieu de passage obligé, entre la Bretagne et la Normandie. Un ex-restaurateur de Villedieu, Pierre Lecorre, se rappelle tous ces marins et tous ces taxis qui faisaient une halte dans son établissement pour casser la croûte en avalant soit un sandwich, soit un repas complet, en fonction de l’heure : « Les taxis s’arrêtaient à Villedieu car c’est là que s’effectuait une dispersion des passagers en fonction de leur lieu d’embarquement : il y avait ceux qui allaient à Cherbourg, ceux qui allaient à Fécamp, au Havre, à Rouen… Les automobiles étaient impressionnantes, pleines à craquer. Un chauffeur m’avait dit : « Quand il n’y a plus de place, on trouve toujours le moyen d’ajouter un marin… » Les galeries supportaient tous leurs sacs de voyage. Je ne sais pas qui fabriquait ces galeries mais c’était du costaud ! Les taxis pratiquaient le tarif unique : que les marins soient seuls ou plusieurs, ils payaient le même prix pour la course. Ce n’était évidemment pas rentable quand il n’y avait qu’un passager… J’ai donc vu à table beaucoup de marins. Je me souviens en particulier de tout un équipage de pêcheurs de Terre-Neuve. Ils étaient 33 et c’est là, devant moi, sur mon comptoir, qu’ils se sont partagé leur salaire. C’était en liquide, et le moins bien payé a reçu un million de centimes ! À l’époque, on ne parlait pas de braquage mais si un gangster avait su ça… » Et un ancien chauffeur de taxi de Villedieu, Roger Dequibou, raconte : « Il m’est arrivé de transporter des marins, ou des femmes de marin qui allaient rejoindre leur époux. Mais uniquement en remplacement de taxis bretons qui avaient eu une panne ou un accident sur la route. À Roufﬁgny près de Villedieu, il y a une grande ligne droite suivie d’une série de virages serrés. Là, les voitures arrivaient trop vite ; en prenant le premier virage elles se déportaient et entraient en collision avec une voiture arrivant en face, dans la montée. Ça arrivait une fois par semaine… » REMPLIS DE SOUVENIRS Pour ﬁnir cet épisode du taxi, il faut également parler du débarquement, toujours haut en couleurs. Après avoir laissé sur le quai, quelques mois plus tôt, un individu triste et malheureux, le chauffeur de taxi va retrouver un homme généralement bronzé, nerveux, qui n’attend plus qu’une chose : rentrer en Bretagne ! Le problème du conducteur est de gérer l’excitation des ma- Vendredi 2 mars 2007

Table des matières de la publication Journal le marin - n°3112 - 2 mars 2007

L'EUROPE LANCE LE DEBAT
UN CONTRAT DE PROJET QUI FAIT DES VAGUES EN NORMANDIE
ACCORD ENTRE LES CONCHYLICULTEURS ET LE CONSERVATOIRE DU LITTORAL
GROSSE COMMANDE DE BOURBON
DOMINIQUE LAURENT, EX-INSPECTEUR GENERAL DE L'ENSEIGNEMENT MARITIME

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